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ANTOINE ET CLÉOPATRE, ROMÉO ET JULIETTE.

en telles traverses et secousses de fortune aient le cœur assez ferme pour faire et imiter ce qu’ils louent et estiment, ou pour fuir ce qu’ils blâment et reprennent, mais plutôt au contraire se laissent aller pour l’accoutumance qu’ils ont de vivre à leur aise et, par faiblesse et lâcheté de cœur, fléchissent et changent leurs premiers discours. Pourtant était-ce un exemple merveilleux aux soldats de voir Antonius, qui avait accoutumé de vivre en délices et en si grande affluence de toutes choses, boire facilement de l’eau puante et corrompue, manger des fruits et racines sauvages : et dit-on encore plus qu’il mangea des écorces d’arbres et des bêtes, dont par avant jamais homme n’avait tâté, en passant les monts des Alpes. »

(6) « Quand Antonius eut pris terre en Italie et qu’on vit que Cæsar ne lui demandait rien quand à lui, et qu’Antonius, d’autre côté, rejetait tout ce dont on le chargeait sur sa femme Fulvia, les amis de l’un et de l’autre ne voulurent point qu’ils entrassent plus avant en contestation ni inquisition pour avérer qui avait le tort ou le droit, et qui était cause de ce trouble, de peur d’aigrir davantage les choses, mais les accordèrent, et divisèrent entre eux l’empire de Rome, faisant la mer Ionique borne de leur partage : car ils baillèrent toutes les provinces du Levant à Antonius et celles de l’Occident à Cæsar, laissant à Lépidus l’Afrique, et arrêtèrent que, l’un après l’autre, ils feraient leurs amis consuls quand ils ne le voudraient être eux-mêmes. Cela semblait être bien avisé, mais qu’il avait besoin de plus étroit lien et de plus grande sûreté dont fortune bailla le moyen. Car il y avait Octavia, sœur aînée de Cæsar, non d’une même mère, car elle était née d’Ancharia, et lui après d’Accia. Il aimait singulièrement cette sienne sœur : aussi était-ce à la vérité une excellente dame, veuve de son premier mari, Caïus Marcellus, qui naguères était décédé, et sembla qu’Antonius était veuf depuis le décès de Fulvia, car il ne niait point qu’il n’eût Cléopatra, mais aussi ne confessait-il pas qu’il la tînt pour femme, mais débatait encore de cela la raison contre l’amour de cette Égyptienne. Par quoi tout le monde mit en avant ce mariage, espérant que cette dame Octavia, laquelle avait la grâce, l’honnêteté et la prudence conjointe à une si rare beauté, quand elle demeurerait avec Antonius, étant aimée et estimée, comme la raison voulait que le fût une telle dame, qu’elle serait cause d’une bonne paix et certaine amitié entre eux. »