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NOTES.

sans incliner plus d’un côté que d’autre, quand on vit soudainement les soixante naves de Cléopatra dresser les mâts et déployer les voiles pour prendre la fuite : si s’enfuirent tout à travers de ceux qui combattaient ; car elles avaient été mises derrière les grands vaisseaux et mirent les autres en grand trouble et désarroi : pour ce les ennemis mêmes s’émerveillèrent fort de les voir ainsi cingler à voiles déployées vers le Péloponèse : et là Antonius montra tout évidemment qu’il avait perdu le sens et le cœur, non-seulement d’un empereur, mais aussi d’un vertueux homme, et qu’il était transporté d’entendement, et que cela est vrai qu’un certain ancien a dit en se jouant que l’âme d’un amant vit au cœur d’autrui, non pas au sien : tant il se laissa mener et traîner à cette femme comme s’il eût été collé à elle, et qu’elle n’eût su se remuer sans le mouvoir aussi. Car, tout aussitôt qu’il vit partir son vaisseau, il oublia, abandonna et trahit ceux qui combattaient et se faisaient tuer pour lui, et se jeta en une galère à cinq rangs de rames pour suivre celle qui l’avait déjà commencé à ruiner, et qui le devait encore du tout achever de détruire. »

(21) « Quant à lui-même, il se délibérait de traverser en Afrique, et prit l’une de ses carraques chargée d’or et d’argent et d’autres meubles, laquelle il donna à ses amis, leur commandant qu’ils la partissent entre eux, et qu’ils cherchassent moyen de se sauver. Ils répondirent en pleurant qu’ils ne le feraient point et qu’ils ne l’abandonneraient jamais. Adonc Antonius les reconforta fort humainement et affectueusement, les priant de se retirer. Si écrivit à Theophilus, le gouverneur de Corinthe, qu’il leur donnât moyen d’être en sûreté et qu’il les cachât dans quelque lieu secret jusqu’à ce qu’ils eussent fait leur appointement avec César. »

(22) « Ils envoyèrent des ambassadeurs vers César en Asie, elle requérant le royaume d’Égypte pour ses enfants, et lui priant qu’on le laissât vivre à Athènes comme personne privée, si César ne voulait qu’il demeurât en Égypte. Et pour tant qu’ils n’avaient à l’entour d’eux autre personne de quelque apparence, à cause que les uns s’en étaient fuis et qu’il ne se fiaient guères aux autres, ils furent contraints d’y envoyer Euphronius, le précepteur de leurs enfants ; César ne voulut point ouïr les prières et requêtes d’Antonius ; mais quant à Cléopatra, il lui fit réponse qu’il ne lui refusait rien qui fût juste ou équitable, moyennant qu’elle fît mourir ou qu’elle chassât hors de son pays Antonius. »