Page:Shakespeare - Œuvres complètes, Laroche, 1842, vol 1.djvu/171

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FORD. Page est un sot qui se repose avec trop de confiance sur la fragilité de sa femme ; pour moi, je ne suis pas aussi facile à rassurer. Hier ma femme se trouvait en compagnie de Falstaff chez madame Page, et j’ignore ce qui s’y est passé. Allons, il faut que je voie au fond de tout ceci : sous mon nom emprunté, je sonderai Falstaff. Si je trouve ma femme fidèle, mes peines n’auront pas été perdues ; dans le cas contraire, ce sera du temps bien employé.

Il s’éloigne.



Scène II.

Une chambre dans l’auberge de la Jarretière.
Entrent FALSTAFF et PISTOLET.

FALSTAFF. Je ne te prêterai pas un penny.

PISTOLET. Eh bien, le monde sera pour moi une huître, que j’ouvrirai avec la pointe de mon épée. — Je vous rembourserai sur la prochaine maraude.

FALSTAFF. Pas un penny. Je t’ai laissé jusqu’à ce jour user de la protection de mon crédit. J’ai trois fois obtenu de mes amis ta grâce et celle de Nym, ton digne acolyte ; sans moi, on vous verrait aujourd’hui, comme deux babouins, faire la moue à travers la grille d’un cachot. Je suis damné en enfer pour avoir maintes fois juré aux gentilshommes mes amis que vous étiez de bons soldats et des gens de cœur ; et le jour où mistriss Bridgite perdit le manche de son éventail, j’attestai sur mon honneur que vous ne l’aviez pas.

PISTOLET. N’avons-nous pas partagé ? N’avez-vous pas reçu quinze pence ?

FALSTAFF. Raisonne donc, drôle, raisonne. Me crois-tu homme à hasarder gratis le salut de mon âme ? Une fois pour toutes, ne te pends plus après moi : je ne veux pas te servir de gibet. Va-t’en arrêter sur les grands chemins ou couper des bourses ; va dans ton manoir de Pickt-Hatch [1]. Ah ! drôle, tu refuses de porter une lettre pour moi ! tu es à cheval sur ton honneur ! Eh ! monstre de bassesse, c’est à peine si moi, qui te parle, je puis rester dans les limites rigoureuses de mon devoir. Oui, moi-même, quelquefois, laissant de côté la crainte de Dieu, et cachant ma vertu sous mes nécessités, je suis forcé

  1. Littéralement, couvée de filous, terme d’argot qui désigne sans doute quelque rue mal famée de Londres.