Page:Shakespeare - Œuvres complètes, Laroche, 1842, vol 1.djvu/200

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FORD. Le panier au linge ?

FALSTAFF. Le panier au linge, parbleu ! c’est là qu’on m’a entassé avec force linge sale, chemises, jupons, chaussettes, bas, serviettes graisseuses ; le tout, monsieur Brook, exhalant l’odeur la plus exécrable qui ait jamais offensé l’odorat.

FORD. Et combien de temps êtes-vous resté là ?

FALSTAFF. Vous allez voir, monsieur Brook, ce que j’ai enduré pour mener cette femme à mal dans votre intérêt. À peine m’a-t-on empilé dans le panier, deux coquins de valets entrent à la voix de leur maîtresse, et reçoivent ordre de me porter, sous le nom de linge sale, à la prairie de Datchet : ils me chargent sur leurs épaules et partent ; mais ne voilà-t-il pas que sur le seuil de la porte ils rencontrent leur maître, qui leur demande par deux fois ce qu’ils portent ainsi : je tremblais dans ma peau que le jaloux cornard ne se mît à fouiller le panier ; mais le destin, ayant décrété qu’il serait cocu, ne le permit pas. Fort bien ; le voilà donc qui entre pour faire ses perquisitions, pendant que je sors en ma qualité de linge sale. Mais remarquez bien la suite, monsieur Brook ; j’ai enduré les tourments de trois morts différentes : premièrement, une intolérable frayeur d’être découvert par ce jaloux bélier ; secondement, l’inconvénient de me voir ployé comme une lame de Bilbao, la poignée allant joindre la pointe, la tête les talons ; troisièmement, le supplice de la suffocation, renfermé que j’étais, pour ainsi dire, dans un appareil de distillation, avec de sales guenilles qui fermentaient dans leur graisse. Vous figurez-vous la position d’un homme de mon acabit ? moi qui fonds à la chaleur comme une motte de beurre ; moi dont le corps est en dissolution continue, en dégel permanent ; c’est miracle que je n’aie pas étouffé. Et au beau milieu de ce bain chaud, lorsque j’étais plus d’à moitié cuit dans mon lard, comme un mets hollandais, me voir jeté dans la Tamise, et, tout fumant encore, refroidi tout à coup dans l’eau glaciale, comme un fer à cheval sortant de la forge ; figurez-vous cela, monsieur Brook.

FORD. Je suis véritablement peiné, monsieur, que vous ayez souffert tout cela pour moi. Ainsi je n’ai plus rien à espérer, et vous ne ferez plus de tentative auprès d’elle ?

FALSTAFF. Monsieur Brook, je m’exposerai à être jeté dans le cratère de l’Etna, comme je l’ai été dans la Tamise, plutôt que d’abandonner la partie. Son mari est allé ce matin chasser