lui fais qu’un peu de mal, ou s’il n’acquiert pas lui-même un grand honneur à tes dépens, il cherchera à t’empoisonner, il te fera tomber dans quelque piége funeste, et il ne te quittera point qu’il ne t’ait fait perdre la vie de quelque façon indirecte ; car je t’assure, et je ne saurais presque te le dire sans pleurer, qu’il n’y a pas un être dans le monde, aussi jeune et aussi méchant que lui. Je ne te parle de lui qu’avec la réserve d’un frère ; mais si je te le disséquais tel qu’il est, je serais forcé de rougir et de pleurer, et toi tu pâlirais d’effroi.
CHARLES.—Je suis bien content d’être venu vous trouver : s’il vient demain, je lui donnerai son compte : s’il est jamais en état d’aller seul, après s’être essayé contre moi, de ma vie je ne lutterai pour le prix : et là-dessus Dieu garde Votre Seigneurie !
OLIVIER.—Adieu, bon Charles.—A présent, il me faut exciter mon jouteur : j’espère m’en voir bientôt débarrassé ; car mon âme, je ne sais cependant pas pourquoi, ne hait rien plus que lui ; en effet, il a le cœur noble, il est instruit sans avoir jamais été à l’école, parlant bien et avec noblesse, il est aimé de toutes les classes jusqu’à l’adoration ; et si bien dans le cœur de tout le monde, et surtout de mes propres gens, qui le connaissent le mieux, que moi j’en suis méprisé. Mais cela ne durera pas : le lutteur va y mettre bon ordre. Il ne me reste rien à faire, qu’à exciter ce garçon là-dessus, et j’y vais de ce pas.
(Il sort.)
Scène II
Plaine devant le palais du duc.
ROSALINDE et CÉLIE.
CÉLIE.—Je t’en conjure, Rosalinde, ma chère cousine, sois plus gaie.
ROSALINDE.—Chère Célie, je montre bien plus de gaieté que je n’en possède ; et tu veux que j’en montre encore davantage ? Si tu ne peux m’apprendre à oublier un