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ACTE II, SCÈNE IV.

pleinement. Vous n’avez pas besoin d’être averti que vous avez beaucoup d’ennemis qui ne savent pas pourquoi ils le sont, mais qui, comme les roquets d’un village, aboient lorsqu’ils entendent leurs camarades en faire autant ; quelques-uns d’eux auront irrité la reine contre vous. Vous voilà excusé ; mais voulez-vous être encore plus amplement justifié ? J’ajouterai que vous avez toujours souhaité qu’on assoupît cette affaire ; jamais vous n’avez désiré qu’on l’entreprît ; et même souvent, et très-souvent, vous avez opposé des obstacles à ses progrès. — C’est sur mon honneur que je dis ce qui en est de milord cardinal sur cet article, et qu’ainsi je le lave de toute imputation. — À présent, pour ce qui m’a porté à cette démarche, j’oserai vous demander de me donner quelques moments et votre attention. Suivez l’enchaînement des choses : voici comme cela est venu. — Faites bien attention. — D’abord ma conscience a été atteinte d’une alarme, d’un scrupule, d’une syndérèse, sur certains mots prononcés par l’évêque de Bayonne, alors ambassadeur de France, qui avait été envoyé ici pour traiter d’un mariage entre le duc d’Orléans et notre fille Marie. Pendant la négociation de cette affaire, avant que rien fût résolu, il demanda (je parle de l’évêque) un délai pendant lequel il pût avertir le roi son maître de consulter si notre fille était légitime, étant sortie de notre mariage actuel avec une douairière qui avait été l’épouse de notre frère. Ce délai demandé ébranla l’intérieur de ma conscience avec une force capable de la déchirer, et fit trembler toute la région de mon cœur. Cette idée s’ouvrit ainsi une si large route, que, sous ses auspices, une foule de considérations accumulées vint se presser dans mon âme. D’abord je m’imaginai que le Ciel avait cessé de me sourire : il avait ordonné à la nature que le sein de mon épouse, s’il venait à concevoir de moi un enfant mâle, ne lui prêtât pas plus de vie que le tombeau n’en donne aux morts. Ses enfants mâles étaient tous morts là où ils avaient été conçus, ou peu de temps après avoir respiré l’air de ce monde. Il me vint donc en pensée que c’était un jugement de Dieu sur moi, et que