Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1863, tome 8.djvu/19

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Anne. ― Que la sombre nuit enveloppe ta lumière, que la mort éteigne ta vie !

Glocester. ― Ne prononce pas de malédictions contre toi-même, belle créature ; tu es pour moi l’une et l’autre.

Anne. ― Je le voudrais bien, pour me venger de toi.

Glocester. ― C’est une haine bien contre nature, que de vouloir te venger de celui qui t’aime !

Anne. ― C’est une haine juste et raisonnable, que de vouloir être vengée de celui qui a tué mon mari.

Glocester. ― Celui qui t’a privée de ton mari ne l’a fait que pour t’en procurer un meilleur.

Anne. ― Il n’en existe point de meilleur que lui sur la terre.

Glocester. ― Il en est un qui vous aime plus qu’il ne vous aimait.

Anne. ― Nomme-le.

Glocester. ― Plantagenet.

Anne. ― Eh ! c’était lui.

Glocester. ― C’en est un du même nom ; mais d’une bien meilleure nature.

Anne. ― Où donc est-il ?

Glocester. ― Le voilà. (Elle lui crache au visage.) Pourquoi me craches-tu au visage ?

Anne. ― Je voudrais, à cause de toi, que ce fût un mortel poison.

Glocester. ― Jamais poison ne vint d’un si doux endroit.

Anne. ― Jamais poison ne tomba sur un plus odieux crapaud.― Ote-toi de mes yeux ; ta vue finirait par me rendre malade.

Glocester. ― C’est de tes yeux, douce beauté, que les miens ont pris mon mal.

Anne. ― Que n’ont-ils le regard du basilic pour te donner la mort !

Glocester. ― Je le voudrais, afin de mourir tout d’un coup, au lieu qu’ils me font mourir sans m’ôter la vie. Tes yeux ont tiré des miens des larmes amères. Ils les ont fait honteusement rougir de pleurs puérils, ces yeux qui ne versèrent jamais une larme de pitié, ni quand