Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1863, tome 8.djvu/338

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quelles nous sommes couchés ne peuvent ni bavarder, ni savoir ce que nous faisons.

XXII. — La fraîcheur de tes lèvres séduisantes annonce que tu es à peine mûr ; cependant on peut bien goûter tes charmes. Fais usage du temps, ne laisse pas échapper l’occasion ; la beauté ne doit pas se consumer elle-même ; les belles fleurs qu’on ne cueille pas dans leur éclat se fanent et périssent bientôt.

XXIII. — Si j’étais laide, vieille et ridée, mal élevée, difforme, grossière, grondeuse, épuisée, la vue trouble, perclue, glacée, stérile, maigrie, desséchée, alors tu pourrais hésiter, car je ne serais point faite pour toi ; mais n’ayant aucun défaut, pourquoi me détestes-tu ?

XXIV. — Tu ne peux découvrir une ride sur mon front, mes yeux sont bleus, brillants et vifs, ma beauté comme le printemps se renouvelle chaque année, ma chair est douce et fraîche, mon sang ardent ; si tu pressais dans la tienne ma main douce et moite, tu la sentirais disparaître dans cette étreinte comme si elle était prête à se fondre.

XXV. — Dis-moi de parler, j’enchanterai ton oreille ; ordonne, et comme une fée je bondirai sur le gazon, ou telle qu’une nymphe à la longue chevelure éparse, je danserai sur le sable sans y laisser la trace de mes pas. L’amour est un esprit de feu, il n’a rien de grossier qui l’abaisse vers la terre, mais il est léger et aspire à s’élever.

XXVI. — Témoin cette couche de primevères sur laquelle je repose, témoin ces faibles fleurs qui me soutiennent comme des arbres robustes : deux frêles colombes me traînent à travers les airs depuis le matin jusqu’au soir, partout où il me plaît d’aller. L’amour est si léger, aimable enfant, se peut-il que tu le croies trop lourd pour toi !

XXVII. — Ton cœur est-il épris de ton propre visage ? Ta main droite peut-elle trouver l’amour dans ta main gauche ? alors, aime-toi toi-même, sois rejeté par toi-même, prive-toi de la liberté et plains-toi du larcin ; c’est ainsi que Narcisse s’abandonna lui-même et périt pour embrasser son ombre dans le ruisseau.

XXVIII. — Les torches sont faites pour éclairer, les bijoux pour servir de parure, les mets délicats pour être goûtés, la fraîcheur de la beauté pour enchanter, les herbes des champs pour parfumer l’air, les arbres pour porter des fruits ; tout ce qui ne pousse que pour soi abuse de ses