Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1863, tome 8.djvu/347

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en de même ; si vous y consentez, vous aurez un baiser. » « Bonne nuit, » répond Vénus. Et avant qu’il ait dit adieu, elle lui offre le doux gage du départ ; ses bras se croisent autour du cou d’Adonis ; elle semble s’incorporer avec lui ; leurs visages se touchent.

XCI. — Enfin, hors d’haleine, il se dégage et retire la rosée céleste, cette jolie bouche de corail dont les lèvres avides de la déesse connaissaient bien le parfum délicieux ; elles s’en désaltèrent, et se plaignent cependant de la sécheresse. Adonis accablé de caresses, elle épuisée par sa froideur, tous deux tombent à terre avec leurs lèvres collées ensemble.

XCII. — Maintenant ses rapides désirs ont conquis sa proie plus docile, elle se nourrit sans pouvoir se rassasier ; ses lèvres sont triomphantes, celles d’Adonis obéissent et payent la rançon qu’exige un vainqueur dont la pensée, vorace comme un vautour, porte si haut ses prétentions qu’il tarit l’humide trésor des lèvres du vaincu.

XCIII. — Une fois qu’elle a goûté la douceur des dépouilles, elle commence à piller avec une aveugle fureur ; son visage est en sueur, son sang bouillonne ; sa passion, sans frein, lui donne un courage désespéré ; elle appelle l’oubli, et repousse la raison, elle oublie la chaste rougeur de la honte et le naufrage de l’honneur.

XCIV. — Lassé, fatigué et échauffé par ses étroits embrassements, tel qu’un oiseau sauvage apprivoisé à force d’être manié, tel que l’agile chevreuil fatigué par la chasse, ou comme un enfant mutin calmé par des caresses, Adonis obéit, et ne résiste plus, pendant que Vénus lui prend non tout ce qu’elle veut, mais tout ce qu’elle peut.

XCV. — Quelle cire assez gelée pour ne pas se fondre à la chaleur, et pour ne pas céder enfin à la plus légère impression ? Les objets placés au delà de l’espérance sont souvent atteints par la témérité, surtout en fait d’amour ; la hardiesse dépasse la permission : l’Amour ne se décourage pas comme un lâche pâle et tremblant, mais ose davantage quand ce qu’il courtise est rebelle.

XCVI. — Oh ! si elle avait renoncé, lorsque Adonis fronçait le sourcil, elle n’eût point savouré un semblable nectar sur ses lèvres : des mots durs et de sévères regards ne doivent point repousser les amants. Les roses ont bien des épines, mais on recueille néanmoins. La beauté fût-elle sous vingt verrous, l’Amour triompherait de tous les obstacles et les enfoncerait tous.