Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1863, tome 8.djvu/352

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

en mépris puisque par ton orgueil tu le prives d’une si belle espérance.

CXXVIII. — Par là, tu t’anéantis toi-même, crime plus grand que la guerre civile, ou que celui des hommes qui portent sur eux-mêmes des mains furieuses, ou bien des pères meurtriers qui arrachent la vie à leurs fils. Une hideuse rouille s’attache au trésor caché, mais l’or qui est mis en usage se multiplie toujours. »

CXXIX. — Allons, répondit Adonis ; vous allez retomber dans vos vains discours tant de fois rebattus ? Le baiser que je vous ai donné vous a été accordé en vain : c’est en vain que vous luttez contre un torrent ; car je vous proteste, par cette ténébreuse nuit, sombre nourrice du désir, que je vous aime de moins en moins depuis votre dissertation.

CXXX. — Si l’Amour vous prêtait vingt mille langues, dont chacune serait plus touchante que la vôtre, et aussi séduisante que les chants des sirènes amoureuses, ses accents pénétrants seraient vains pour mon oreille ; car sachez que mon cœur s’y tient armé en sentinelle, et n’y laisserait pas en entrer un son perfide.

CXXXI. — De peur que la mélodie trompeuse ne pénétrât jusque dans la paisible enceinte de mon sein : et là mon petit cœur lui-même serait entièrement perdu, s’il était privé de sommeil dans sa chambre à coucher. Non, madame, non ; mon cœur ne désire point de gémir ; il dort profondément tant qu’il dort seul.

CXXXII. — Qu’avez-vous dit que je ne puisse réfuter ? le sentier qui conduit au péril est doux. Je ne hais pas l’amour, mais votre manière d’aimer qui prête des embrassements à tous les étrangers, vous en agissez ainsi pour la multiplication de l’espèce : bizarre excuse de prendre la raison pour servir les excès de la volupté.

CXXXIII. — Ne l’appelez pas l’amour ; l’Amour s’est envolé au ciel depuis que la honteuse débauche usurpe son nom sur la terre, et s’est couverte de sa ressemblance pour séduire la beauté vermeille et la déshonorer ; car ce tyran la souille de ses brûlantes caresses, et la flétrit bientôt comme la chenille flétrit les jeunes feuilles.

CXXXIV. — L’amour réjouit comme le soleil après l’orage, l’effet de la débauche est comme celui de la tempête après le soleil ; l’aimable printemps de l’amour demeure toujours frais, l’hiver de la débauche arrive avant que son été soit à demi fini ; l’amour ne rassasie jamais, la débauche meurt