Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1863, tome 8.djvu/358

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CLXXI. — Fi donc, fol amour, tu es aussi craintif qu’un homme chargé d’un trésor et pressé par les voleurs ; des bagatelles, que n’ont distinguées ni l’œil ni l’oreille, troublent ton lâche cœur de fausses alarmes. » Elle entend à ce dernier mot un cor joyeux, elle bondit, elle qui tout à l’heure était si abattue.

CLXXII. — Elle vole, telle qu’un faucon vers sa proie, et le gazon ne fléchit pas, tant elle le foule légèrement et dans sa hâte elle aperçoit le triomphe de l’odieux sanglier sur celui qu’elle aimait ; à ce spectacle ses yeux, comme frappés de mort, se cachent, semblables aux étoiles honteuses du jour.

CLXXIII. — Telle encore que le limaçon qui, si ses cornes délicates sont touchées, rentre souffrant dans sa caverne d’écaille, et là tout rabougri reste longtemps à l’ombre avant d’oser ressortir de nouveau ; de même à l’aspect du cadavre sanglant, les yeux de Vénus se sont réfugiés dans les sombres orbites de sa tête.

CLXXIV. — Là, ils abandonnent leur fonction et leur lumière à l’indisposition du cerveau troublé qui leur ordonne de s’associer avec la nuit sombre, et de ne plus blesser le cœur par leurs regards ; comme un roi affligé sur son trône, ce cœur pousse un douloureux gémissement excité par leurs suggestions.

CLXXV. — Cependant, chaque sens tributaire frémit, de même que le vent, emprisonné dans la terre, s’efforçant de s’ouvrir un passage, ébranle les fondements du monde, ce qui trouble l’esprit des hommes par de sinistres terreurs. Ce bouleversement surprend si fort chaque organe que les yeux s’élancent de nouveau de leurs sombres retraites.

CLXXVI. — En souriant, ils jettent à regret leur lumière sur la large blessure que le sanglier a faite dans le tendre sein d’Adonis, dont la blancheur ordinaire, semblable à celle du lis, était inondée de larmes de pourpre répandues par la plaie. Il n’était à l’entour aucune fleur, aucune herbe, aucune plante, aucune feuille, aucune racine qui ne lui ravît son sang, et ne semblât saigner avec lui.

CLXXVII. — La pauvre Vénus remarque cette sympathie solennelle ; elle penche sa tête sur une épaule, son désespoir est muet, elle s’abandonne à son délire. Elle pense qu’il ne pouvait mourir, qu’il n’est pas mort. Sa voix est étouffée, ses genoux oublient de fléchir ; ses yeux sont furieux d’avoir pleuré naguère !

CLXXVIII. — Elle tient ses regards constamment fixés sur la