Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1863, tome 8.djvu/424

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une Éthiopienne, et renierait son nom de Jupiter afin de devenir mortel par amour pour toi.

XVI

Mes troupeaux ne mangent pas, mes brebis ne portent pas, mes béliers sont languissants ; tout va de travers, l’amour se meurt, c’est en renonçant à sa foi, c’est en reniant son cœur qu’on en est venu là. J’ai oublié toutes mes joyeuses danses ; j’ai perdu l’amour de ma dame. Dieu le sait, là où sa confiance et son amour étaient inébranlables je rencontre un non sans espoir de changement. Une folle contrariété m’a causé toutes ces pertes. Oh ! Fortune ennemie, perfide, maudite dame, je sais que l’inconstance appartient plus aux femmes qu’aux hommes. Je gémis tout en deuil, je méprise toute crainte, l’amour m’a abandonné, je vis en esclavage, mon cœur est sanglant, il a besoin de secours ; ô cruelle ressource, il est rempli de fiel. Mon chalumeau de berger ne peut plus résonner, la clochette de mon bélier sonne un glas funèbre ; mon chien, à la queue coupée, qui avait coutume de jouer, ne joue plus du tout ; il a l’air d’avoir peur ; avec des soupirs profonds, il se met à pleurer en hurlant à sa façon à la vue de ma triste situation. Comme les soupirs résonnent à travers une terre insensible, semblables à un millier d’hommes vaincus dans un combat sanglant.

Les sources pures ne jaillissent pas, les doux oiseaux ne chantent pas, les plantes vertes ne produisent rien, elles meurent ; les bestiaux restent à pleurer, les troupeaux dorment tous, les nymphes regardent derrière elles avec effroi. Tous les plaisirs que nous connaissions, nous autres pauvres bergers, toutes nos gaies assemblées dans la plaine, toutes nos fêtes du soir sont finies, tout notre amour est perdu, car l’amour est mort. Adieu, ma douce amie, tu es la cause de toute ma douleur. Jamais on ne vit ton égal pour remplir le cœur de joie. Le pauvre Corydon en sera réduit à vivre seul, je ne vois point pour lui d’autre ressource.

XVII

Puisque ton œil a choisi la dame et marqué la dame que tu dois frapper, permets à la raison de gouverner des choses dignes de blâme aussi bien que l’amour, qui est une puissance partiale. Prends conseil de quelque tête plus sage, qui ne soit pas trop jeune et qui soit mariée.

Et quand tu viendras raconter ton histoire, n’adoucis pas ta langue par un langage trop soigné, de peur qu’elle ne devine quelque ruse subtile ; les estropiés reconnaissent bientôt ceux qui boitent, mais dis-lui nettement que tu l’aimes, et que tu veux qu’elle soit à toi.