de telle sorte que,
voir accomplir les exploits de la jeunesse, de même moi qui suis devenu
infirme par les disgrâces acharnées de la fortune, je tire toute ma
consolation de tes mérites et de ta fidélité, qu’il s’agisse de ta
beauté, de ta naissance, de ta richesse ou de ton esprit, de l’une de
ces qualités, de toutes, ou d’autres encore qui résident en toi et te
font une couronne, je greffe mon amour sur tes trésors, en sorte que je
ne suis ni infirme, ni pauvre, ni méprisé, tant que cette ombre me donne
une substance qui fait que ton abondance me suffit, et que je vis d’une
part de ta gloire. Vois, ce qu’il y a de mieux, je le désire pour toi,
respires, toi qui te répands dans mes vers comme une matière charmante ;
toi précieuse pour les éloges des plumes vulgaires ? Oh ! rends-en grâces
à toi-même s’il se trouve en moi quelque chose qui soit digne de
subsister devant tes yeux ; qui pourrait être assez muet pour ne pouvoir
t’écrire lorsque tu donnes toi-même le jour à l’imagination ? Sois la
dixième muse, dix fois plus précieuse que ces neuf sœurs d’autrefois,
que les anciens invoquent, et que celui qui t’appellera à son aide sache
produire des vers immortels qui survivent aux longues mémoires. Si ma
muse légère plaît à quelqu’un dans ce temps curieux, c’est à moi que
la meilleure partie de moi-même ? Qu’est-ce que ma louange peut
m’apporter à moi-même ? et quand je fais ton éloge, ne fais-je pas le
mien ? Pour cela, du moins, vivons séparés et que notre cher amour perde
son nom unique, afin que, par cette séparation, je puisse te rendre ce
qui t’est dû, ce que tu mérites seule. O absence, quel tourment tu
serais, si tes amers loisirs ne me donnaient pas la douce permission de
passer mon temps dans des pensées d’amour qui trompent