Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1863, tome 8.djvu/448

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l’abri de mains perfides !
Mais toi, à côté de qui tous mes joyaux sont des bagatelles, ma plus
grande consolation devenue mon plus grand chagrin, toi le meilleur et le
plus cher, mon unique souci, tu es resté en proie à tout voleur
vulgaire. Je ne t’ai enfermé dans aucun coffre, si ce n’est là où tu
n’es pas, bien que j’y sente ta présence, dans la douce enceinte de mon
coeur, d’où tu peux sortir, où tu peux rentrer à ton gré, et j’ai peur
qu’on ne vienne te dérober jusque-là, car la fatalité devient voleuse

quand il s’agit d’un butin aussi précieux


Prévoyant le temps, s’il vient jamais, où je te verrai jeter un regard

sévère sur mes défauts, quand ton affection aura fait sa dernière
addition, appelée à régler ses comptes par des conseils prudents,
songeant d’avance au temps où tu passeras à côté de moi comme un
étranger daignant à peine me saluer de ce regard qui est un soleil pour
moi, quand l’amour cruellement changé trouvera des raisons d’une gravité
durable, je me fortifie d’avance par la connaissance de ce que je
mérite, et je lève la main contre moi-même pour défendre en ton nom tes
bonnes raisons. Tu as pour toi la force des lois si tu quittes ton
pauvre ami, puisque je n’ai point de cause à alléguer pour ton

affection.



Comme je voyage pesamment par les chemins, lorsque le but auquel je

tends, la fin de mon pénible voyage, enseigne à ce bien-être et à ce
repos à dire : « Voilà tant de lieues faites pour t’éloigner de ton ami ! »
L’animal qui me porte, fatigué de ma tristesse, avance lentement et
porte avec peine ce fardeau qui m’accable, comme si la pauvre bête
savait par instinct que son cavalier ne goûtait pas une rapidité qui
l’éloignait de toi ; l’éperon sanglant que la colère enfonce quelquefois
dans sa peau ne peut le faire avancer ; il y répond par un gémissement
douloureux qui m’est plus cruel que l’éperon à ses flancs, car ce
gémissement me remet en mémoire que le chagrin est en avant et que j’ai

laissé ma joie derrière moi.


C’est ainsi que mon amour excuse la sentence criminelle de mon pauvre

coursier quand je m’éloigne de toi ; pourquoi me