Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1863, tome 8.djvu/454

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grandeur, ou la grandeur elle-même en venir à déchoir, ces ruines
m’apprennent à réfléchir que le temps viendra et m’enlèvera mon ami.
Cette pensée est comme une mort qui ne peut s’empêcher de pleurer tout

en possédant celui qu’elle redoute de perdre.


Puisque ni l’airain, ni la pierre, ni la terre, ni la mer sans borne

n’échappent à la puissance du funèbre destructeur, comment la beauté se
défendra-t-elle contre cette fureur, elle qui n’a pas plus de force
qu’une fleur ? Comment l’haleine embaumée de l’été résistera-t-elle au
siége désastreux des jours qui l’attaquent, puisque les rochers
imprenables ne sont pas assez forts, et que les portes d’acier ne sont
pas assez robustes pour échapper aux ravages du Temps ? Oh ! réflexion
terrible ! où peut-on, hélas ! cacher le joyau le plus précieux du Temps
pour éviter qu’il ne soit jeté dans le coffre du Temps ? Quelle main
assez robuste pourrait retenir son pied agile ? ou lui interdire la
destruction de la beauté ? Personne, à moins que ce miracle ne réussisse

en faisant resplendir mon amour au moyen de mon encre noire.


Fatigué de tout ce que je vois, j’appelle la mort et le repos ; le mérite

naît mendiant et le misérable néant est paré de gaieté, et la foi la
plus pure est indignement parjurée, l’honneur doré est honteusement mal
placé, la vertu des jeunes filles est grossièrement déçue, la perfection
du droit est injustement déshonorée, et la force est paralysée par une
puissance boiteuse, la folie en guise de docteur gouverne la sagesse, la
simple vérité est à tort appelée sottise, le bien captif suit le mal
devenu le maître ; fatigué de voir tout cela, je voudrais y échapper ;

seulement en mourant, je laisserais mon amour tout seul.


Ah ! pourquoi faut-il qu’il vive au milieu de la peste, et qu’il honore

l’impiété de sa présence avant que le péché en prenne avantage pour se
parer de sa société ? Pourquoi le fard imiterait-il ses joues, et
emprunterait-il un éclat mort à son teint vivant ? Pourquoi la pauvre
beauté chercherait-elle partout des roses imaginaires, puisque les
siennes sont vraies ?