Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1863, tome 8.djvu/457

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branches qui
tremblent de joie que des feuilles jaunies, en petit nombre, point du
tout peut-être, chœurs nus et délabrés où chantaient naguère de gentils
oiseaux. Tu vois en moi le crépuscule de ce qui reste du jour lorsqu’il
disparaît à l’occident après le coucher du soleil, et que peu à peu la
sombre nuit, seconde édition de la mort, efface tout à fait pour tout
plonger dans le repos. Tu vois en moi les dernières lueurs de ce qui
reste d’un feu qui brûle au milieu des cendres de sa jeunesse comme sur
le lit de mort où il va expirer consumé par ce qui le nourrissait
naguère. Tu vois tout cela, et ton amour, en devient plus ardent pour

aimer ce que tu seras obligé de quitter tout à l’heure.


Mais sois content, lorsque cette arrestation terrible contre laquelle il

n’y a point de garantie viendra à m’entraîner, ma vie laissera dans ces
lignes quelque intérêt, qui te restera en souvenir de moi. Quand tu
repasseras ceci, tu repasseras la part de mon être qui t’était
consacrée. La terre ne peut avoir que la terre, qui lui appartient ; mon
âme est à toi, c’est ce qu’il y a de meilleur en moi ; tu n’auras donc
perdu que le rebut de ma vie, la proie des vers, par la mort de mon
corps, misérable conquête du couteau d’un scélérat, trop vile pour en
conserver la mémoire. Il ne vaut que par ce qu’il contient, et ce qu’il

contient, c’est ce qui te reste.



Vous êtes à mes pensées ce que sont les aliments à la vie, les douces

averses à la terre, et pour vous posséder en paix je soutiens un combat
comme celui d’un avare avec sa richesse, tantôt il en jouit fièrement,
et d’autres fois il redoute l’âge perfide qui lui dérobera son trésor ;
tantôt, je m’imagine qu’il vaut mieux être avec vous tout seul, tantôt
je préfère que le monde soit témoin de ma satisfaction ; parfois servi à
souhait, je me rassasie de votre vue, d’autres fois, j’ai faim et soif
d’un regard, ne possédant et ne recherchant d’autres plaisirs que ceux
que j’ai eus ou que je puis trouver en vous. C’est ainsi que jour après
jour, je languis ou j’abuse de mes joies, dévorant tout d’un coup ou

séparé de tout.

{{Titre|Sonnets|William Shakespeare|