Quand ma maîtresse jure qu’elle n’est que vérité, je la crois, quoique
je sache qu’elle ment ; afin qu’elle me prenne pour un jeune adolescent
encore ignorant des fausses subtilités du monde. De même je crois à tort
qu’elle me croit jeune, bien qu’elle sache que mes beaux jours sont
loin ; je me fie simplement à sa langue trompeuse. Ainsi des deux côtés
nous supprimons la simple vérité. Mais pourquoi ne dirait-elle pas
qu’elle n’est pas véridique ? Et pourquoi ne dirais-je pas que je suis
vieux ? Oh ! l’amour fait bien mieux de prétendre à une entière vérité, et
le vieillard amoureux n’aime pas qu’on parle de son âge. Je lui mens, et
coeur. Ne me blesse pas avec tes yeux, mais avec ta langue use avec
pouvoir de ton pouvoir, et ne me tue pas par la ruse. Dis-moi que tu
aimes ailleurs, mais en ma présence, ô mon cher cœur, garde-toi de
porter ailleurs tes yeux. Quel besoin as tu de me blesser par la ruse,
quand ta force est trop grande pour que je puisse tenter d’y résister ?
Laisse-moi t’excuser : cela, mon amour sait bien, que ses charmants
regards ont été mes ennemis ; aussi détourna-t-elle mes ennemis de mon
visage, afin qu’ils portent ailleurs leurs ravages. Mais ne le fais
plus, et puisque je suis presque mort, achève-moi de tes regards, et
ma patience qui a la langue liée, de peur que la douleur ne m’inspire
pas des paroles pour exprimer ma souffrance que nul ne plaint. Si je
pouvais t’enseigner la sagesse, cela vaudrait mieux que me dire que tu
m’aimes, ô ! mon amour, quand bien même je ne pourrais t’enseigner à les
aimer, de même que les malades, lorsqu’ils sont près d’expirer,
s’entendent toujours dire par les médecins qu’ils vont mieux. Car si je
tombais dans le désespoir, je pourrais perdre la raison, et dans ma
folie, je pourrais mal parler de toi. Et ce monde pervers est devenu si
mauvais que des oreilles insensées pourraient