Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1863, tome 8.djvu/484

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pas à toi, quand par
excès d’amour, pour toi qui me tyrannises, j’oublie que je suis
moi-même. Si tu détestes quelqu’un, est-ce que je l’appelle mon ami ? Si
tu es courroucée, est-ce que je fais des courbettes à l’objet de ton
courroux ? Et même quand tu es irritée contre moi, est-ce que je ne me
châtie pas moi-même par des plaintes continuelles ? Quel mérite est-ce
que je trouve en moi, qui me pousse à mépriser ton service, quand toutes
mes meilleures qualités adorent tes défauts, et ne font qu’obéir au
mouvement de tes yeux ? Mais, mon amour, continue à haïr, car maintenant
je connais ton sentiment ; tu aimes ceux qui peuvent voir, et moi, je

suis aveugle.


Oh ! qui t’a donné ce pouvoir merveilleux par lequel tu gouvernes mon

coeur, à force de défauts ? Comment peux-tu faire mentir mes yeux, et me
faire jurer que ce qui est brillant ne pare pas le jour ? Comment peux-tu
tellement orner ce qui est mal que dans tes actions les plus coupables,
il se trouve toujours une force et une habileté qui font qu’à mes yeux
tes plus grands défauts valent mieux que les plus belles qualités ? Qui
t’a appris à me contraindre de t’aimer davantage ? Plus j’apprends et
plus je vois de justes motifs de te haïr. Oh ! quoique j’aime ce que les
autres abhorrent, auprès des autres tu ne devrais pas abhorrer ma
condition : si ton indignité a fait naître en moi l’amour, je suis

d’autant plus digne d’être aimé par toi.


L’amour est trop jeune pour savoir ce que c’est que la conscience ; et

cependant qui ne sait que la conscience est née de l’amour ? Ainsi, belle
trompeuse, ne me reproche pas mes fautes, de peur que ta charmante
personne n’ait à s’en reconnaître coupable. Car si tu me trahis, je
trahis ce qu’il y a de plus noble en moi par la trahison de mon corps
grossier. Mon âme dit à mon corps qu’il peut triompher dans son amour :
la chair ne demande pas d’autre raison, elle bondit à ton nom, et le
désigne comme le prix de son triomphe. Fier de cette fierté, mon corps
se contente d’être bon, pauvre esclave, de t’appuyer dans la vie, de
succomber si tu succombes. Ne crois pas que ce soit par défaut de
conscience que j’appelle