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ÉTUDE

s’efforçaient de rendre la comédie et la tragédie ennuyeuses, plus on devait se rejeter sur les Masques. Plusieurs poëtes de l’école de Shakspeare s’appliquaient aussi à satisfaire le goût du public pour le genre de plaisir auquel il l’avait accoutumé. Leurs efforts plus ou moins heureux, mais soutenus avec une grande activité, entretenaient ce goût pour le théâtre qui survit aux époques de ses chefs-d’œuvre. Cinq cent cinquante pièces de théâtre environ, sans compter celles de Shakspeare, Ben-Johnson, Beaumont et Fletcher, furent imprimées avant la restauration de Charles II ; dans ce nombre, trente-huit seulement peuvent dater des temps antérieurs à Shakspeare ; on a vu que, durant sa vie, l’usage n’était pas de faire imprimer les pièces destinées à la représentation : de 1640 à 1660, les puritains fermèrent, ou à peu près, tous les théâtres ; la plupart de ces productions appartiennent donc aux vingt-cinq années qui s’écoulèrent entre la mort de Shakspeare et le commencement des guerres civiles. Voilà sous quel poids a succombé quelque temps la popularité du premier poëte dramatique de l’Angleterre.

Cependant sa mémoire ne périssait point. En 1623, Hemynge et Condell avaient publié la première édition complète de ses pièces, dont treize seulement avaient été imprimées de son vivant. Le respect subsistait toujours ; mais pour qu’une réputation consommée inspire un autre sentiment que le respect, il faut peut-être que le temps vienne à son aide, qu’il l’efface et l’assoupisse d’abord pour lui rendre un jour l’attrait d’une gloire méconnue, pour exciter un jour l’amour-propre et la curiosité des esprits à la rajeunir par un nouvel examen, et à y trouver le charme d’une découverte nouvelle. Un grand écrivain obtient rarement, de la génération qui le suit, les hommages que lui prodiguera la postérité. Quelquefois même de longs espaces de temps sont nécessaires pour que la révolution qu’a commencée un homme supérieur accomplisse son cours et ramène vers lui le monde.