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ÉTUDE

séduites, à des esprits moins aisément amusés, l’art s’étudie à écarter ce qui pourrait y nuire ; et, en même temps que la représentation des objets matériels se perfectionne, elle intervient plus rarement dans le spectacle de l’action, presque exclusivement réservé à l’homme qui peut seul lui donner les apparences de la réalité. C’est à l’homme que, malgré les habitudes de son temps, Shakspeare sentit qu’il fallait demander ce grand effet. Le mouvement du théâtre, qui faisait avant lui le principal intérêt des ouvrages dramatiques, devint dans les siens un simple accessoire que le goût de son temps ne lui permettait pas de retrancher, dont peut-être même son propre goût ne lui demandait pas le sacrifice, mais qu’il réduisit à sa juste valeur. Peu importe donc que, dans ses pièces, l’illusion morale puisse encore être quelquefois troublée par l’imparfaite représentation d’objets que l’illusion théâtrale ne saurait atteindre ; Shakspeare n’en démêla pas moins la véritable source de cette illusion et n’en chercha pas ailleurs les moyens.

Il en connut également la nature ; il sentit qu’une illusion de ce genre, étrangère à toute erreur des sens ou de la raison, simple résultat d’une disposition de l’âme qui oublie tout pour se contempler elle-même, ne peut se soutenir que par le consentement perpétuel du spectateur à la séduction que le poëte veut exercer sur lui, et qu’ainsi il faut le séduire sans relâche. Quelle que soit la puissance d’une représentation dramatique, elle ne saurait, dès les premiers pas, s’emparer de nous assez complètement pour nous livrer sans défense à tous les sentiments qui viendront nous saisir à mesure que nous avancerons dans la situation où elle nous a placés. Il faut que l’imagination se prête par degrés à cette situation étrangère, que l’âme s’y accoutume et accepte l’empire des impressions qui en doivent naître, comme, dans un malheur ou dans un bonheur inattendu, nous avons besoin de quelque temps pour mettre nos sentiments au niveau de notre sort. Que si, après avoir obtenu notre