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SUR SHAKSPEARE.

plus à mesurer l’espace que vous l’obligerez de franchir. Dans une lecture intéressante, l’attente fortement excitée nous transporte, sans peine d’un temps à un autre ; notre pensée se préoccupe de l’événement qu’on nous a promis, et ne voit rien dans l’intervalle qui nous en sépare ; et comme elle nous y fait arriver sans avoir, pour ainsi dire, changé de place, à peine nous apercevons-nous que nous ayons dû changer de jour. Quand Claudius et Laërtes sont convenus ensemble de l’assaut d’armes où doit périr Hamlet, entre ce moment et celui de l’événement on ne s’inquiète guère de savoir si deux heures ou une semaine se sont écoulées.

C’est que la chaîne des impressions n’a point été rompue ; c’est que la situation des personnages n’a point changé ; leurs projets sont demeurés les mêmes : leur ardeur n’est pas moins énergique ; le temps n’a point agi sur eux ; il ne compte pour rien dans les sentiments qu’ils nous inspirent ; il les retrouve, et nous avec eux, dans la même disposition d’âme ; et ainsi les époques sont rapprochées par cette unité d’impression qui nous fait dire, à la pensée d’un événement consommé depuis longtemps, mais dont rien encore n’a effacé la trace : « Il me semble que c’était hier. »

Que nous importe en effet le temps qui s’écoule entre les actions dont Macbeth remplit sa carrière de crime ? Quand il ordonne le meurtre de Banquo, celui de Duncan est encore présent à nos yeux ; il semble que c’était hier ; et quand Macbeth se détermine au massacre de la famille de Macduff, on croit le voir pâle encore de l’apparition de Banquo. Aucune de ses actions ne s’est terminée sans rendre nécessaire l’action qui la suit ; elles s’annoncent et s’attirent l’une l’autre, forçant ainsi l’imagination de marcher en avant, pleine de trouble et d’attente. Macbeth, qui, après avoir tué Duncan, est poussé, par la terreur même de son forfait, à tuer les chambellans à qui il veut l’attribuer, ne nous permet pas de douter de la facilité avec laquelle il commettra les forfaits nou-