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SUR SHAKSPEARE.

tendre à un tel effet ; elle a ses orages momentanés dont le cours, soumis à des causes extérieures et variables, doit trouver en peu de temps son terme. Dès que la jalousie s’est emparée du cœur d’Othello, si un intervalle quelconque séparait ce moment de celui qui amène la mort de Desdémona, l’unité serait rompue ; rien ne nous attesterait le lien qui doit unir les premiers transports du More à sa dernière résolution ; il faut donc que l’action marche, se précipite et le précipite lui-même à sa perte, qu’un jour donné à la réflexion l’empêcherait peut-être de consommer. De même le simple tableau des événements, si la présence d’un grand caractère individuel ne vient, en les dominant, leur imprimer sa propre unité, laissera sentir le besoin des unités matérielles ; et les efforts qu’a faits Shakspeare, dans ses pièces historiques, pour s’en rapprocher ou en déguiser l’absence, sont un nouvel hommage rendu à cette unité morale qui suffit à tout quand le poëte la possède, et que rien ne remplace quand elle lui manque. Dans Hamlet, dans Macbeth, Shakspeare, inattentif au cours du temps, le laisse passer sans y regarder. Dans ses pièces historiques, au contraire, il le cache et le dissimule par tous les artifices qui peuvent nous abuser sur sa durée ; les scènes se suivent et s’annoncent l’une l’autre de telle sorte qu’un intervalle de plusieurs années semble se renfermer en quelques semaines ou même en quelques jours. Toutes les vraisemblances sont sacrifiées à cette unité théâtrale, que le temps romprait trop facilement entre des événements que ne lie point un principe uniforme. La scène où Richard II apprend d’Aumerle le départ de Bolingbroke pour son exil est celle où il annonce qu’il va partir lui-même pour l’Irlande ; et l’on ne sait pas encore bien à la cour si en effet il s’est embarqué pour ce voyage quand on y reçoit la nouvelle du débarquement de Bolingbroke revenant avec une armée, sous prétexte de réclamer ses droits à la succession de son père mort dans l’intervalle, mais, au fait,