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SUR HAMLET.

qu’il fut dedans la chambre, se doutant de quelque trahison ou surprise, il continua en ses façons de faire folles et niaises, sauta sur ce loudier où sentant qu’il y avoit dessous quelque cas caché, ne faillit aussitôt de donner dedans avec son glaive… Ayant ainsi découvert l’embûche et puni l’inventeur d’icelle, il s’en revint trouver la reine, laquelle pleuroit et se lamentoit ; puis ayant visité encore tous les coins de la chambre, se voyant seul avec elle, il lui parla fort sagement en cette manière :

« — Quelle trahison est ceci, ô la plus infâme de toutes celles qui onc se sont prostituées au vouloir de quelque paillard abominable, que sous le fard d’un pleur dissimulé, vous couvriez l’acte le plus méchant et le crime le plus détestable ? Quelle fiance puis-je avoir en vous qui, déréglée sur toute impudicité, allez courant les bras étendus après cetuy felon et traître tyran qui est le meurtrier de mon père, et caressez incestueusement le voleur du lit légitime de votre loyal époux ?… Ah ! reine Géruthe, c’est la lubricité seule qui vous a effacé en l’âme la mémoire des vaillances et vertus du bon roi votre époux et mon père… Ne vous offensez pas, je vous prie, Madame, si, transporté de douleur, je vous parle si rigoureusement et si je vous respecte moins que mon devoir ; car, vous ayant mis à néant la mémoire du défunt roi mon père, ne faut s’ébahir si aussi je sors des limites de toute reconnoissance…

« Quoique la reine se sentît piquer de bien près, et que Amleth la touchât vivement où plus elle se sentoit intéressée, si est-ce qu’elle oublia tout dépit qu’elle eût pu concevoir d’être ainsi aigrement tancée et reprise pour la grande joie qui la saisit, connoissant la gentillesse d’esprit de son fils. D’un côté, elle n’osoit lever les yeux pour le regarder, se souvenant de sa faute, et de l’autre elle eût volontiers embrassé son fils pour les sages admonitions qu’il lui avoit faites, et lesquelles eurent tant d’efficace que sur l’heure elles éteignirent les flammes de sa convoitise…

« Avec lui furent envoyés en Angleterre deux des fidèles ministres de Fengon, portant des lettres gravées dans du bois, qui portoient la mort de Amleth et la commandoient à l’Anglois. Mais le rusé prince danois tandis que ses compagnons dormoient, ayant visité le paquet et connu la trahison de son oncle et la méchanceté des courtisans qui le conduisoient à la boucherie, rasa les lettres mentionnant sa mort, et au lieu y grava et cisela un commandement à l’Anglois de faire pendre et étrangler ses compagnons…

« Vivant son père, Amleth avoit été endoctriné en cette science avec laquelle le malin esprit abuse les hommes, et avertissoit le