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ACTE IV, SCÈNE III.

SCÈNE III

Un autre appartement dans le château.
LE ROI entre avec sa suite.

le roi. — Je l’ai envoyé querir, et l’on cherche le corps. Combien il est dangereux que cet homme aille en liberté ! Il ne faut pas, cependant, lui appliquer la loi rigoureuse ; il est aimé de la multitude désordonnée, qui aime, non d’après son jugement, mais d’après ses yeux ; et là où il en est ainsi, on pèse le fléau qui frappe l’offenseur, jamais on ne pèse l’offense. Pour que tout se passe doucement et sans bruit, il faut que cet éloignement soudain paraisse une décision réfléchie. Les maux qui sont devenus désespérés veulent des remèdes désespérés pour être guéris ou ne le sont pas du tout. (Rosencrantz entre.) Eh bien ! qu’est-il arrivé ?

rosencrantz. — Où le corps est-il déposé ? c’est ce que nous ne pouvons tirer de lui, mon seigneur.

le roi. — Mais lui, où est-il ?

    son âme. La plupart de ses répliques aux courtisans ont un sens confus et une portée manifeste : on voit plus d’ombre envahir son esprit et plus d’amertume jaillir de son cœur. Il faut renoncer à expliquer des phrases comme : « Le corps est avec le roi, mais le roi n’est pas avec le corps. » Veut-il dire que le cadavre est dans le palais, comme le roi, mais que le roi a encore à mourir, comme Polonius, et à rejoindre de plus près le cadavre ? Ou bien parle-t-il tour à tour des deux rois, du faux roi vivant, son oncle, et du vrai roi mort, son père ? Mais à quoi bon expliquer ? Il ne veut pas être compris et ne peut pas se retenir d’être menaçant. Il appelle le roi une chose, les courtisans l’interrompent à ce mot méprisant, et il coupe court aux périls de l’entretien, mais par une pire insolence « Le roi est une chose de rien, » expression toute faite et courante chez tous les poëtes du même temps et qui leur venait, comme tant d’autres, de la Bible, du quatrième verset du psaume CXLIV, où il est dit, selon la traduction anglaise : « L’homme est comme une chose de rien. » Quant aux derniers mots de Hamlet, c’est le refrain du jeu des enfants anglais qui correspond à notre cache-cache. Les sources de la langue de Shakspeare sont aussi diverses que les courants des pensées de Hamlet.