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HAMLET.

rosencrantz. — À la porte, mon seigneur ; on le garde et l’on attend vos ordres.

le roi. — Amenez-le devant nous.

rosencrantz. — Holà ! Guildenstern, faites entrer mon seigneur.

(Hamlet et Guildenstern entrent.)

le roi. — Voyons, Hamlet, où est Polonius ?

hamlet. — À souper.

le roi. — À souper ? où donc ?

hamlet. — Non pas dans un endroit où il mange, mais dans un endroit où il est mangé ; il y a un certain congrès de vermine politique qui est en affaire avec lui en ce moment même. Votre ver est l’empereur qui préside seul à toute votre diète [1] : nous engraissons toutes les autres créatures pour nous engraisser ; et nous nous engraissons nous-mêmes pour les asticots. Votre roi bien gras et votre mendiant bien maigre ne font qu’un service différent ; deux plats, mais pour la même table : c’est là la fin de tout.

le roi. — Hélas ! hélas !

hamlet. — Un homme peut pêcher avec le ver qui a mangé d’un roi, et manger le poisson qui s’est nourri de ce ver.

le roi. — Que veux-tu dire par là ?

hamlet. — Rien, mais seulement vous montrer comment un roi peut faire un voyage à travers les entrailles d’un mendiant.

le roi. — Où est Polonius ?

hamlet. — Dans le ciel : envoyez-y voir. Si votre mes-

  1. Les vers, en anglais : the worms. On sait que c’est dans la ville de Worms que furent tenues, par les empereurs d’Allemagne, plusieurs des diètes les plus célèbres, entre autres celle de 1521, fameuse en tout pays protestant comme ayant eu pour conséquence l’édit de Worms contre Luther. On comprendra donc sans peine comment, dans le texte des sinistres plaisanteries de Hamlet se mêlent et jouent les vers, l’empereur et la diète. Toute votre diète, c’est-à-dire toutes vos habitudes de nourriture et de vie, selon l’ancien sens du mot, que l’usage a maintenant réduit au point de le changer tout à fait et de le rendre presque synonyme de jeûne.