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HAMLET.

enlevée à elle-même et à cette noble raison sans laquelle nous ne sommes que des simulacres humains ou de vraies brutes ; enfin, et cela est aussi important que tout le reste, son frère, revenu secrètement de France, se repaît de ses cruelles surprises, s’enveloppe de nuages, et ne manque pas de mouches bourdonnantes qui infestent ses oreilles de discours empoisonnés sur la mort de son père ; et, dans ces discours, les exigences d’un sujet trop pauvre ne leur laisseront nul scrupule de nous accuser en personne, d’oreille en oreille. Ô ma chère Gertrude, tout ceci, comme un canon à mitraille, me frappe à bien des places et me donne à la fois trop de morts !

(Bruit derrière le théâtre.)

la reine. — Hélas quel bruit est ceci ?

(Un gentilhomme entre.)

le roi. — Holà ! où sont mes Suisses ? qu’ils gardent la porte… De quoi s’agit-il ?

le gentilhomme. — Sauvez-vous, mon seigneur. L’Océan, franchissant ses barrières, ne dévore pas les plages avec une plus impétueuse hâte que le jeune Laërtes, à la tête de la sédition, ne renverse vos officiers ! La cohue l’appelle son seigneur ; et, comme si le monde n’en était qu’à commencer aujourd’hui, l’antiquité est mise en oubli, la coutume est méconnue, elles par qui sont ratifiés et soutenus tous les titres. Ils crient : « Choisissons nous-mêmes ! Laërtes sera roi ! » Et les bonnets, et les mains, et les langues applaudissent jusqu’aux nues à ce cri : « Laërtes sera notre roi ! Laërtes roi ! »

la reine. — Avec quelle joie ils s’en vont aboyant sur cette fausse piste ! Ah ! vous êtes en défaut, mauvais chiens danois !

(Bruit derrière le théâtre.)

le roi. — Les portes sont brisées.

(Laërtes armé entre ; il est suivi d’une foule de peuple.)

laërtes. — Où est ce roi ?… Messieurs, restez tous en dehors.

le peuple. — Non, entrons.