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ACTE IV, SCÈNE VII.

lances et de délais qu’il y a autour de nous de langues, et de mains, et d’accidents ; et ce n’est plus alors qu’un « nous devrions », semblable au soupir d’un mauvais sujet, et pernicieux parce qu’il soulage[1]. Mais droit dans le vif de la plaie ! Hamlet revient ; que sauriez-vous entreprendre pour montrer, en fait plutôt que par des paroles, que vous êtes fils de votre père ?

laërtes. — Je lui couperais la gorge dans l’église même.

le roi. — Aucun lieu, à vrai dire, ne devrait être un sanctuaire pour le meurtre. La vengeance ne devrait pas avoir de bornes. Mais, brave Laërtes, voulez-vous faire ceci ? Tenez-vous enfermé dans votre chambre. Hamlet revenu apprendra que vous êtes aussi de retour ; nous mettrons en avant des gens qui vanteront votre

  1. On croyait très-fermement, au temps de Shakspeare, que les soupirs usaient la vie. On lit dans les Discours tragiques de Fenton (1579) : « Pourquoi n’arrêtez-vous pas à temps la source de ces brûlants soupirs qui ont déjà mis votre corps à sec de toutes les humeurs salubres dont la nature l’avait pourvu pour donner du suc à vos entrailles et à vos secrets ressorts ? » Ailleurs encore, dans Henri VI, Shakspeare a dit « des soupirs qui consument le sang. » Ici, cette croyance, plus ou moins scientifique, complique bizarrement et termine par un vrai nœud gordien les observations de moraliste où Shakspeare vient de se complaire. Ne dirait-on pas d’abord un commentaire sur Hamlet lui-même, mis par inadvertance dans la bouche du roi, son ennemi ? Ce « je veux » qui, de retards en retards, s’exténue et se réduit à un « je devrais, » c’est le premier thème. Puis les projets dépensés en paroles sont comparés aux remords dépensés en regrets : oublions vite Hamlet, il ne s’agit plus d’un contemplateur qui rêve au lieu d’agir : il s’agit du mauvais sujet qui soupire au lieu de se corriger, s’enfonçant et se perdant d’autant plus en ses fautes qu’il vient, en les condamnant un instant, de se mettre mieux à l’aise envers sa conscience. Est-ce tout ? Non ; encore un soubresaut d’imagination ! Aussi vite que la pensée de Shakspeare a couru de l’irrésolution dans la vie pratique à la mollesse dans la vie morale, aussi vite passe-t-elle maintenant à un fait de la vie physique, à une doctrine des médecins d’alors, au soulagement pernicieux des soupirs qui ne dégonflent le cœur qu’en appauvrissant le sang. Il y a là, en un vers et demi, deux comparaisons si brusquement lancées que l’esprit du lecteur, étourdi et comme étranglé par ce double coup de lazzo, s’arrête et chancelle.