Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 1.djvu/259

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
253
ACTE IV, SCÈNE VII.

réfléchit son feuillage blanchâtre dans le miroir du courant ; elle était là, faisant de fantasques guirlandes de renoncules, d’orties, de marguerites, et de ces longues fleurs pourpres que nos bergers licencieux nomment d’un nom plus grossier, mais que nos chastes vierges appellent des doigts de morts. Et là, comme elle grimpait pour attacher aux rameaux pendants sa couronne d’herbes sauvages, une branche ennemie se rompit ; alors ses humbles trophées, et elle-même avec eux, tombèrent dans le ruisseau qui pleurait. Ses vêtements s’enflent et s’étalent ; telle qu’une fée des eaux, ils la soutiennent un moment à la surface ; pendant ce temps elle chantait des lambeaux de vieilles ballades, comme désintéressée de sa propre détresse, ou comme une créature née et douée pour cet élément. Mais cela ne pouvait durer longtemps ; si bien qu’enfin la pauvre malheureuse ! ses vêtements, lourds de l’eau qu’ils buvaient, l’ont entraînée de ses douces chansons à une fangeuse mort.

laërtes. — Hélas ! elle est donc noyée !

la reine. — Noyée ! noyée !

laërtes. — Tu n’as déjà que trop d’eau, pauvre Ophélia ; aussi je retiens mes larmes. Mais non ; c’est notre train courant, la nature conserve ses coutumes, la honte a beau dire ce qui lui plaît. Que ces larmes partent, et c’en est fait de la femme en moi [1]… Adieu, mon seigneur ! Je me sens des paroles de flamme qui éclateraient volontiers, n’était que cette folie les noie.

(Il sort.)

le roi. — Suivons-le, Gertrude. Combien j’ai eu à faire pour calmer sa rage ! maintenant je crains que ceci ne lui donne un nouvel élan. Ainsi donc, suivons-le.

(Ils sortent.)


FIN DU QUATRIÈME ACTE.
  1. Ainsi dans Henri V, acte IV, scène vi « Mais toute ma mère me monta aux yeux et me livra en proie aux larmes. »