Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 1.djvu/361

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
355
ACTE IV, SCÈNE I.

bonnes grâces. Aie patience, car le butin auquel je te conduis couvrira bien cette mésaventure : ainsi, parle tout bas. Tout est coi ici, comme s’il était encore minuit.

Trinculo.

Oui, mais avoir perdu nos bouteilles dans la mare !

Stephano.

Il n’y a pas à cela seulement de la honte, du déshonneur, monstre, mais une perte immense.

Trinculo.

Cela m’est encore plus sensible que de m’être mouillé. — C’est cependant votre lutin sans malice, monstre…

Stephano.

Je veux aller rechercher ma bouteille, dussé-je, pour ma peine, en avoir jusque par-dessus les oreilles.

Caliban.

Je t’en prie, mon prince, ne souffle pas. — Vois-tu bien ? voici la bouche de la caverne : point de bruit ; entre. Fais-nous ce bon méfait qui pour toujours te met, toi, en possession de cette île ; et moi, ton Caliban à tes pieds, pour les lécher éternellement.

Stephano.

Donne-moi ta main. Je commence à avoir des idées sanguinaires.

Trinculo.

Ô roi Stephano[1] ! ô mon gentilhomme ! ô digne Stephano ! regarde ; vois quelle garde-robe il y a ici pour toi !

Caliban.

Laisse tout cela, imbécile ; ce n’est que de la drogue.

Trinculo.

Oh ! oh ! monstre, nous nous connaissons en friperie. — Ô roi Stephano !

Stephano.

Lâche cette robe, Trinculo. Par ma main ! je prétends avoir cette robe.

Trinculo.

Ta Grandeur l’aura.

Caliban.

Que l’hydropisie étouffe cet imbécile ! À quoi pensez-vous de vous amuser à ce bagage ? Avançons, et faisons le meurtre d’abord. S’il se réveille, depuis la plante des pieds jusqu’au crâne, notre peau ne sera plus que pincements ; oh ! il nous accoutrera d’une étrange manière !

  1. Allusion à une ancienne ballade King Stephens was a worthy peer (le roi Étienne était un digne gentilhomme), où l’on célèbre l’économie de ce prince relativement à sa garde-robe. Il y a dans Othello deux couplets de cette ballade.