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ACTE II, SCÈNE I.

sible de les appeler des Lycurgues. Si la liqueur que vous me versez m’affecte désagréablement le palais, je fais la grimace. Je ne saurais dire que vos Honneurs ont bien parlé, quand je trouve des âneries dans la majeure partie de vos syllabes, et quoique je me résigne à supporter ceux qui disent que vous êtes de graves personnages dignes de nos respects, cependant ceux qui disent que vous avez de bonnes figures mentent effrontément. Si c’est là ce que vous voyez dans la carte de mon microcosme [1], s’ensuit-il qu’on me connaisse bien aussi ? Voyons, quels défauts votre aveugle perspicacité découvrira-t-elle dans mon caractère, si moi aussi je suis bien connu ?

brutus.—Allez, allez ! nous vous connaissons de reste.

ménénius.—Non, vous ne connaissez ni moi, ni vous-mêmes, ni quoi que ce soit. Vous recherchez les coups de chapeau et les courbettes des pauvres malheureux ; vous perdez la plus précieuse partie du jour à entendre le plaidoyer d’une marchande de citrons contre un marchand de robinets, et vous remettez à une seconde audience la décision de ce procès de trois sous. Quand vous êtes sur votre tribunal, juges entre deux parties, si par malheur vous avez la colique, vous faites des grimaces comme de vrais masques, vous dressez l’étendard rouge contre toute patience, et, demandant un pot de chambre à grands cris, vous renvoyez les deux parties plus acharnées l’une contre l’autre, et la cause plus embrouillée ; tout l’accord que vous mettez entre eux, c’est de les traiter tous deux de fripons. Vous êtes un étrange couple !

brutus.—Allez, allez ! On sait que vous dîtes plus de bons mots à table, que vous ne siégez utilement au Capitole.

ménénius.—Nos prêtres eux-mêmes perdraient leur gravité devant des objets aussi ridicules que vous ; votre

  1. Microcosme (ou petit monde). Ce nom a été donné à l’homme par beaucoup de médecins et de philosophes anciens, qui ont considéré notre corps comme l’abrégé de l’univers.