Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 1.djvu/425

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
419
ACTE II, SCÈNE III.

méprise le pouvoir qu’ils ont de lui accorder ce qu’il sollicite.

brutus.—Venez, nous allons les instruire de notre conduite ici : venez à la place publique, où je sais qu’ils nous attendent.

(Ils sortent.)

SCÈNE III

Rome. — Le Forum.
PLUSIEURS CITOYENS paraissent.

premier citoyen.—En un mot, s’il demande nos voix, nous ne devons pas les lui refuser.

second citoyen.—Nous le pouvons si nous voulons.

troisième citoyen.—Sans doute, nous avons bien ce pouvoir en nous-mêmes : mais c’est un pouvoir que nous n’avons pas le pouvoir d’exercer ; car s’il nous montre ses blessures et nous raconte ses exploits, nous serons forcés de prêter à ses cicatrices une voix qui parlera pour elles. Oui, s’il nous raconte tous ses nobles exploits, nous serons bien forcés de parler aussi de notre noble reconnaissance. L’ingratitude est un vice monstrueux ; et si le peuple était ingrat, il deviendrait monstrueux. Nous sommes les membres du peuple ; nous deviendrions des membres monstrueux !

premier citoyen.—Mais pour donner de nous-mêmes cette idée, il ne nous manque pas grand’chose ; car lorsque nous nous sommes soulevés pour le prix du blé, il n’hésita pas à nommer le peuple la multitude aux cent têtes.

troisième citoyen.—Il n’est pas le seul qui nous ait appelés ainsi ; non parce que les uns ont la chevelure brune, les autres noire, ou parce que ceux-ci ont une tête chevelue, et ceux-là une tête chauve : mais à cause de cette grande variété d’esprits de toutes couleurs qui nous distingue. Et en effet, si tous nos esprits sortaient à la fois