Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 1.djvu/431

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
425
ACTE II, SCÈNE III.

donnée, il était ici, je l’ai bien entendu : « Je vous remercie de votre voix, disait-il, je vous remercie de vos voix si douces. Maintenant que vous les avez données ; je n’ai plus affaire à vous. » —N’était-ce pas là se moquer ?

sicinius.—Pourquoi donc n’avez-vous pas eu l’esprit de vous en apercevoir ? Ou, si vous vous en êtes aperçus, pourquoi avez-vous eu, comme des enfants, la simplicité de lui accorder votre suffrage ?

brutus.—Ne pouviez-vous pas lui dire, comme on vous en avait fait la leçon, qu’alors même qu’il était sans pouvoir, petit serviteur de la république, il était votre ennemi ; qu’il a toujours déclamé contre vos libertés, et attaqué les privilèges que vous avez dans l’État ; que si, parvenu au souverain pouvoir dans Rome, il reste toujours l’ennemi déclaré du peuple, vos suffrages se changeront en armes contre vous-mêmes ? Au moins auriez vous dû lui dire, que si ses grandes actions le rendaient digne de la place qu’il demandait, son bon naturel devait aussi lui parler en faveur de ceux qui lui accordaient leur voix, changer sa haine contre vous en affection, et le rendre votre zélé protecteur.

sicinius.—Si vous aviez parlé de la sorte, et suivi nos conseils, vous auriez sondé son âme, et mis ses sentiments à l’épreuve ; et vous lui auriez arraché des promesses avantageuses que vous auriez pu le forcer de tenir en temps et lieu ; ou sinon vous auriez aigri par là ce caractère farouche qui n’endure aisément rien de ce qui peut le lier ; il serait devenu furieux, et sa rage vous aurait servi de prétexte pour passer sans l’élire.

brutus.—Avez-vous remarqué qu’il vous sollicitait avec un mépris non déguisé alors qu’il avait besoin de votre faveur ? Et pensez-vous que ce mépris ne vous accablera pas, quand il aura le pouvoir de vous écraser ? Étiez-vous donc des corps sans âmes ? N’avez-vous donc une langue que pour parler contre la rectitude de votre jugement ?

sicinius.—N’avez-vous pas déjà refusé votre suffrage à plus d’un candidat qui l’a sollicité ? et aujourd’hui