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ACTE III, SCÈNE II.

cheveux en désordre ? Faut-il que ma langue donne bassement à mon noble cœur un démenti qu’il lui faudra endurer ? Eh bien ! soit ; je le ferai. Cependant, s’il n’y avait rien de plus à sacrifier que ce corps de Marcius, j’aimerais mieux qu’ils le missent en poussière, et qu’ils la jetassent aux vents.—Au forum ! Vous m’avez chargé là d’un rôle que je ne remplirai jamais au naturel.

cominius.—Allons, allons ; nous vous aiderons.

volumnie.—Je t’en conjure, mon cher fils. Tu as dit que mes louanges t’avaient fait guerrier : eh bien ! pour obtenir encore de moi d’autres louanges, joue un rôle que tu n’as pas encore rempli.

coriolan.—Eh bien, soit ! —Sors de mon sein, mon inclination naturelle, et cède la place à l’esprit d’une courtisane. Que ma voix mâle et guerrière, qui faisait chœur avec les clairons, devienne grêle comme le fausset de l’eunuque, ou comme la voix d’une jeune fille qui endort un enfant au berceau ; que le sourire des fourbes sillonne mes joues, et que les pleurs d’un jeune écolier obscurcissent mes yeux ; que la langue suppliante d’un mendiant se meuve entre mes lèvres, et que mes genoux, couverts de fer, qui n’ont jamais fléchi que sur mon étrier, se prosternent aussi bas que ceux du misérable qui a reçu l’aumône.—Je ne le ferai point, ou bien j’abjurerais ma fidélité à l’honneur, et, par les mouvements et les attitudes de mon corps, j’enseignerais à mon âme la plus infâme lâcheté.

volumnie.—Eh bien ! à ton choix. Il est plus déshonorant pour ta mère de te supplier qu’il ne l’est pour toi de supplier le peuple. Que tout tombe en ruine : ta mère aime mieux essuyer un refus de ton orgueil que de redouter sans cesse ta dangereuse inflexibilité ; car je brave la mort d’un cœur aussi fier que le tien. Fais ce qu’il te plaira. Ta valeur vient de moi, tu l’as sucée avec mon lait : mais tu ne dois ton orgueil qu’à toi-même.

coriolan.—Je vous prie, calmez-vous, ma mère : je vais aller à la place publique ; ne me grondez plus. Oui, j’irai, monté sur des tréteaux, marchander leur amitié, séduire leurs cœurs par des flatteries, et je reviendrai