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ÉTUDE

retraçant le récit de leurs propres faits, le doux son des noms nationaux, le spectacle de leurs mœurs et la vie de toutes les classes, comprises toutes dans l’histoire politique d’un peuple qui a toujours pris part à ses affaires.

Si quelques faits de l’histoire ancienne ou de l’histoire des autres peuples, communément défigurés par des récits fabuleux, venaient se placer à côté de ces histoires nationales, ni les auteurs ni le public ne s’inquiétaient de leur origine et de leur nature. On les surchargeait à la fois de ces détails étranges et de ces formes empruntées aux habitudes communes de la vie, que les enfants prêtent si souvent aux objets qu’ils sont obligés de se représenter par le seul secours de l’imagination. Ainsi Tamerlan (Tamburlaine) paraissait traîné dans son char par les rois qu’il avait vaincus, et s’indignant de la pitoyable allure d’un tel attelage. En revanche, le Vice, bouffon ordinaire des compositions dramatiques, jouait, sous le nom d’Ambidexter, le principal personnage d’une tragédie de Cambyse, convertie ainsi en une moralité qui eût été d’un ennui intolérable si elle n’avait valu aux spectateurs le plaisir de voir le juge prévaricateur écorché vif sur le théâtre, au moyen d’une fausse peau, comme on a soin de l’indiquer. Le spectacle, à peu près nul quant aux décorations et aux changements de scène, était animé par le mouvement matériel et par la représentation des objets sensibles. Pour les tragédies, la salle était tendue en noir, et, dans l’inventaire des propriétés d’une troupe de comédiens, en 1598, on trouve des « membres de Maures, quatre têtes de Turcs et celle du vieux Méhémet, une roue pour le siège de Londres, un grand cheval avec ses jambes, un dragon, une bouche d’enfer, un rocher, une cage, » etc. ; monument singulier des moyens d’intérêt dont le théâtre croyait avoir besoin.

Et cette époque était celle où avait déjà paru Shakspeare ! Et avant Shakspeare, le spectacle était non-seulement la joie de la multitude, mais l’amusement des hommes les plus distingués ! Lord Southampton y allait