Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 1.djvu/494

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
488
CORIOLAN.

déjà rentré dans la ville par cette porte, et il se propose de paraître devant le peuple, espérant se justifier avec des paroles. Hâtez-vous. (À trois ou quatre conspirateurs de la faction d’Aufidius qui viennent au-devant de lui.) Soyez les bienvenus.

premier conjuré.—En quel état est notre général ?

aufidius.—Dans l’état d’homme empoisonné par ses propres aumônes, et tué par sa charité.

second conjuré.—Très-noble seigneur, si vous persistez dans le projet auquel vous avez désiré de nous associer, nous vous délivrerons du danger qui vous menace.

aufidius.—Je ne puis encore rien décider : nous agirons selon que nous trouverons le peuple disposé.

troisième conjuré.—Tant qu’il y aura de la division entre Marcius et vous, le peuple flottera incertain : mais la chute de l’un rendra le survivant héritier de toute sa faveur.

aufidius.—Je le sais ; et mon plan, pour trouver un prétexte de le frapper, est bien arrangé.—Je l’ai relevé dans sa disgrâce, j’ai engagé mon honneur pour garant de sa foi. Marcius, ainsi comblé d’honneur, a arrosé de flatteries ses nouvelles plantations ; il a caressé et séduit mes amis, et c’est dans cette vue qu’il a plié son caractère, qu’on avait toujours connu auparavant pour être rude, indépendant et indomptable.

troisième conjuré.—Telle était sa roideur quand il briguait le consulat, qu’il le perdit en refusant de fléchir.

aufidius.—C’est ce dont j’allais parler. Banni pour son orgueil, il est venu dans ma maison offrir sa tête à mon glaive : je l’ai accueilli, je l’ai associé à ma fortune, j’ai donné un libre cours à tous ses désirs ; j’ai fait plus : je l’ai laissé, pour accomplir ses projets, choisir dans mon armée mes meilleurs et mes plus vigoureux soldats ; j’ai servi ses desseins aux dépens de ma propre personne ; je l’ai aidé à recueillir une renommée qu’il s’est appropriée tout entière, et j’ai mis de l’orgueil à me nuire