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ACTE V, SCÈNE V.

lement que le nœud d’un fil usé ; et sans qu’il ait assemblé aucun conseil de guerre, à la seule vue des larmes de sa nourrice, de vains gémissements, des clameurs de femmes lui ont fait lâcher une victoire qui était à vous, les pages ont rougi pour lui et les gens de cœur se sont regardés de surprise les uns les autres.

coriolan.—Ô Mars, l’entends-tu ?

aufidius.—Ne nomme point ce dieu, toi, enfant larmoyant.

coriolan.—Ah ! dieux !

aufidius.—Un enfant, rien de plus.

coriolan.—Insigne menteur, tu fais gonfler mon sein d’une rage qu’il ne peut plus contenir. Moi, un enfant ? Ô lâche esclave ! —Pardonnez, illustres sénateurs ; c’est la première fois que j’aie jamais été forcé de quereller en vaines paroles. Votre jugement, mes respectables seigneurs, doit démentir ce misérable roquet ; lui-même sera forcé de convenir de son imposture, lui qui porte les traces de mes coups sur son corps et qui les portera jusqu’au tombeau.

premier sénateur.—Silence, tous deux, et laissez-moi parler.

coriolan.—Mettez-moi en pièces, Volsques, hommes et enfants ! plongez tous vos poignards dans mon sein. Un enfant ! Lâche chien ! —Si vous avez écrit avec vérité les annales de votre histoire, c’est à Corioles que, semblable à l’aigle qui fond dans un colombier, j’ai réduit les Volsques au silence de la peur ; moi seul je l’ai fait. Un enfant !

aufidius.—Quoi, sénateurs ! vous souffrirez qu’il retrace à vos yeux le souvenir d’un succès qu’il ne dut qu’à l’aveugle fortune, et qui vous couvrit de honte ? Vous entendrez en paix cet orgueilleux infâme vous insulter en face, et se vanter de vos affronts ?

les conjurés.—Qu’il meure pour cette insulte.

des voix du peuple.—Mettons-le en pièces à l’heure même : il a tué mon fils, ma fille ; il a tué mon cousin Marcus ; il a tué mon père.

(Des bruits confus s’élèvent dans toute l’assemblée.)