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ÉTUDE

approuvé à mesure qu’il s’abandonnait plus librement à son propre instinct, et cependant toujours attentif à mesurer ses hardiesses sur les progrès de son auditoire dans le sentiment de l’art. Il parait constant, par la date de ses pièces, qu’il n’a jamais composé une de ses tragédies sans que quelque autre poëte eût, pour ainsi dire, tâté, sur le même sujet, les dispositions du public ; comme s’il eût senti en lui-même une supériorité qui, pour se confier au goût de la multitude, avait besoin d’une caution vulgaire.

On ne saurait douter qu’entre les pièces historiques et la tragédie proprement dite, le génie de Shakspeare ne se portât de préférence vers le dernier genre. Le jugement général et constant qui a placé Roméo et Juliette, Hamlet, le Roi Lear, Macbeth et Othello à la tête de ses ouvrages, suffirait pour le prouver. Parmi les drames nationaux, Richard III est le seul que l’opinion ait élevé au même rang ; nouvelle preuve de mon assertion, car c’est aussi le seul ouvrage que Shakspeare ait pu conduire, à la manière de ses tragédies, par l’influence d’un caractère ou d’une idée unique. Là réside la différence fondamentale qui distingue les deux genres de pièces : dans les unes, les événements suivent leur cours, et le poëte les accompagne ; dans les autres, les événements se groupent autour d’un homme et ne semblent servir qu’à le mettre en lumière. Jules-César est une vraie tragédie, et cependant la marche de la pièce est calquée sur le récit de Plutarque, aussi bien que le Roi Jean, Richard II ou les Henri sur les chroniques de Hollinshed ; mais Brutus est là qui imprime à l’ouvrage l’unité d’un grand caractère individuel. De même l’histoire de Richard III est en entier sa propre histoire, l’œuvre de son dessein et de sa volonté, tandis que celle des autres rois dont Shakspeare a peuplé son théâtre n’est qu’une partie, et souvent la moindre partie du tableau des événements de leur temps.

C’est que les événements ne sont pas ce qui préoccupe