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ÉTUDE

sous les aspects et dans les espaces nouveaux où les place le nouvel état de la pensée et de la société.

On ne s’étonnera donc pas si, pour connaître Shakspeare, j’éprouve le besoin de pénétrer un peu avant dans la nature de la poésie dramatique et dans la civilisation des peuples modernes, surtout de l’Angleterre. Si l’on n’aborde ces considérations générales, il est impossible de répondre aux idées, confuses peut-être, mais actives et pressantes, qu’un tel sujet fait naître maintenant dans tous les esprits.

Une représentation théâtrale est une fête populaire. Ainsi le veut la nature même de la poésie dramatique. Sa puissance repose sur les effets de la sympathie, de cette force mystérieuse qui fait que le rire naît du rire, que les larmes coulent à la vue des larmes, et qui, en dépit de la diversité des dispositions, des conditions, des caractères, confond dans une même impression les hommes réunis dans un même lieu, spectateurs d’un même fait. Pour de tels effets, il faut que la foule s’assemble : les idées et les sentiments qui passeraient languissamment d’un homme à un autre homme traversent, avec la rapidité de l’éclair, une multitude pressée, et c’est seulement au sein des masses que se déploie cette électricité morale dont le poëte dramatique fait éclater le pouvoir.

La poésie dramatique n’a donc pu naître qu’au milieu du peuple. Elle fut, en naissant, destinée à ses plaisirs ; il prit même d’abord une part active à la fête ; aux premiers chants de Thespis s’unissait le chœur des assistants.

Mais le peuple ne tarde pas à s’apercevoir que les plaisirs qu’il peut se donner lui-même ne sont ni les seuls, ni les plus vifs qu’il soit capable de goûter : pour les classes livrées au travail, le délassement semble la première et presque l’unique condition du plaisir ; une suspension momentanée des efforts ou des privations de