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ACTE I, SCÈNE II.

Le devin.

Vous aimerez plus que vous ne serez aimée.

Charmiane.

J’aimerais mieux m’échauffer le foie avec le vin.

Alexas.

Allons, écoutez.

Charmiane.

Voyons, maintenant, quelque bonne aventure ; que j’épouse trois rois dans une matinée, que je devienne veuve de tous trois, que j’aie à cinquante ans un fils auquel Hérode[1] de Judée rende hommage. Trouve-moi un moyen de me marier avec Octave César, et de marcher l’égale de ma maîtresse.

Le devin.

Vous survivrez à la reine que vous servez.

Charmiane.

Oh ! merveilleux ! J’aime bien mieux une longue vie que des figues[2].

Le devin.

Vous avez éprouvé dans le passé une meilleure fortune que celle qui vous attend.

Charmiane.

À ce compte, il y a toute apparence que mes enfants n’auront pas de nom[3]. Je vous prie, combien dois-je avoir de garçons et de filles ?

Le devin.

Si chacun de vos désirs avait un sein fécond, vous auriez un million d’enfants.

Charmiane.

Tais-toi, insensé ! Je te pardonne, parce que tu es un sorcier.

  1. Hérode rendit hommage aux Romains pour conserver le royaume de Judée. Steevens pense qu’il y a ici une allusion au personnage de ce monarque dans les Mystères de l’origine du théâtre. Hérode y était toujours représenté comme un tyran sombre et cruel, et son nom devint une expression proverbiale pour peindre la fureur dans ses excès.

    C’est ainsi qu’Hamlet dit d’un comédien qu’il outre le caractère d’Hérode, out-Herods Herod.

    Dans cette tragédie (Antoine et Cléopâtre), Alexas dit à la reine qu’Hérode de Judée lui-même n’ose pas la regarder quand elle est de mauvaise humeur. Charmiane désire donc un fils qui soit respecté d’Hérode, c’est-à-dire des monarques les plus fiers et les plus cruels.

  2. Expression proverbiale. Warburton croit qu’il y a ici un rapport mystérieux entre ce mot de figues prononcé sans intention, et la corbeille de figues, qui, au cinquième acte, renferme l’aspic dont la morsure abrège les jours de Cléopâtre.
  3. C’est-à-dire je n’aurai point d’enfants.