Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 2.djvu/172

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
170
ANTOINE ET CLÉOPÂTRE.

Cléopâtre.

Tais-toi, je t’en prie.

(Entrent Antoine et Euphronius)
Antoine.

Et c’est là sa réponse ?

Euphronius.

Oui, seigneur.

Antoine.

Ainsi, la reine sera bien accueillie si elle veut me sacrifier.

Euphronius.

C’est ce qu’il a dit.

Antoine.

Qu’elle le sache. — Envoyez au jeune César cette tête grise, et il remplira de royaumes, jusqu’aux bords, la coupe de vos désirs.

Cléopâtre.

Votre tête, seigneur !

Antoine.

Retourne vers lui. — Dis-lui qu’il porte sur son visage les roses de la jeunesse, que l’univers attend de lui plus que des actions ordinaires ; dis-lui qu’il serait possible que son or, ses vaisseaux, ses légions, appartinssent à un lâche ; que des généraux subalternes peuvent triompher au service d’un enfant aussi bien que sous les ordres de César : et que je le défie de venir, mettant de côté l’inégalité de nos fortunes, se mesurer avec moi, qui suis déjà sur le déclin de l’âge, fer contre fer et seul à seul. Je vais lui écrire. (Au député.) Suis-moi.

(Antoine sort avec Euphronius.)
Énobarbus.

Oui, cela est bien vraisemblable que César, entouré d’une armée victorieuse, ira mettre en jeu son bonheur, et se donner en spectacle comme un spadassin ! — Je vois bien que les jugements des hommes ressemblent à leur fortune, et que les objets extérieurs entraînent les qualités de l’âme et les font en même temps déchoir. Qu’il puisse rêver, lui qui connaît la valeur des choses, que César dans l’abondance répondra à son dénûment ! César, tu as aussi vaincu sa raison.

(Un esclave entre.)
L’esclave.

Voici un envoyé de César.

Cléopâtre.

Quoi ! pas plus de cérémonies ? — Voyez, mes femmes ! — On se bouche le nez près de la rose épanouie dont on venait à genoux admirer les boutons !

Énobarbus, à part.

Mon honneur et moi nous commençons à nous quereller. La loyauté gardée à des fous