Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 2.djvu/19

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
17
ACTE I, SCÈNE II.

suivre. En effet, il me suivit le torrent rugissait ; nous le battions de nos muscles nerveux, rejetant ses eaux des deux côtés et coupant le courant d’un cœur animé par la dispute. Mais avant que nous eussions atteint le but marqué, César s’écrie « Secours-moi, Cassius, ou je péris. » Moi, comme Énée notre grand ancêtre emporta sur son épaule le vieux Anchise hors des flammes de Troie, j’emportai hors des vagues du Tibre César épuisé : et cet homme aujourd’hui est devenu un dieu, et Cassius n’est qu’une misérable créature, et il faut que son corps se courbe si César daigne seulement le saluer d’un signe de tête négligent ! — En Espagne, il eut la fièvre, et pendant l’accès je fus frappé de voir comme il tremblait. Rien n’est plus vrai, je vis ce dieu trembler : ses lèvres poltronnes avaient fui leurs couleurs ; et ce même œil, dont le regard seul impose au monde, avait perdu son éclat. Je l’entendis gémir, oui, en vérité ; et cette langue qui commande aux Romains de l’écouter et de déposer ses paroles dans leurs annales[1], criait « Hélas ! Titinius, donne-moi à boire, » comme l’aurait fait une petite fille malade. Dieux que j’atteste, je me sens confondu qu’un homme si faible de tempérament prenne les devants sur ce monde majestueux, et seul remporte la palme.

(Acclamation, fanfare.)

brutus. — Encore une acclamation Sans doute ces applaudissements annoncent de nouveaux honneurs qu’on accumule sur la tête de César.

cassius. — Eh quoi ! mon cher, il foule comme un colosse cet étroit univers, et nous autres petits bonshommes nous circulons entre ses jambes énormes, cherchant de tous côtés où nous pourrons trouver à la fin d’ignominieux tombeaux. Les hommes, à de certains moments, sont maîtres de leur sort ; et si notre condition

  1. Voltaire s’est ici tout à fait mépris sur le sens ; il traduit ainsi :

    Et cette même voix qui commande à la terre,
    Cette terrible voix (remarque bien, Brutus,
    Remarque, et que ces mots soient écrits dans tes livres)