Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 2.djvu/454

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jetaient sur sa pureté virginale. Traitez-moi d’insensé, méprisez mes études et mes observations, qui du sceau de l’expérience confirment ce que j’ai lu. Ne vous fiez plus à mon âge, à mon ministère, à ma sainte mission, si cette jeune dame n’est pas ici la victime innocente de quelque méprise cruelle.

LÉONATO. — Frère, cela ne peut être. Vous voyez que la seule pudeur qui lui reste est de ne pas vouloir ajouter le péché du parjure à son damnable crime. Elle ne le désavoue pas. Pourquoi cherchez-vous donc à couvrir d’excuses la vérité qui se montre toute nue ?

LE MOINE. — Madame, quel est l’homme qu’on vous accuse d’aimer ?

HÉRO. — Ceux qui m’accusent le savent ; moi, je n’en connais aucun ; et si je connais aucun homme vivant plus que ne le permet la modestie virginale, puisse toute miséricorde être refusée à mes fautes ! – Ô mon père, prouvez qu’à des heures indues un homme s’entretint jamais avec moi, ou que la nuit passée je me sois prêtée à un commerce de paroles avec aucune créature ; et alors renoncez-moi, haïssez-moi, faites-moi mourir dans les tortures.

LE MOINE. — Les princes et Claudio sont aveuglés par quelque erreur étrange.

BÉNÉDICK. — Deux des trois sont l’honneur même, et si leur prudence est trompée en ceci, la fraude est sortie du cerveau de don Juan le bâtard, dont l’esprit travaille sans relâche à ourdir des scélératesses.

LÉONATO. — Je n’en sais rien. Si ce qu’ils disent d’elle est la vérité, ces mains la mettront en pièces ; mais s’ils outragent son honneur, le plus fier d’entre eux en entendra parler. Le temps n’a pas encore assez desséché mon sang, l’âge n’a pas encore assez consumé les ressources de mon esprit, la fortune n’a pas encore assez ravagé mes moyens, et ma mauvaise vie ne m’a pas assez privé d’amis, que je ne puisse encore, réveillé d’une semblable manière, posséder la force de corps, les facultés d’esprit, les ressources d’argent et le choix d’amis nécessaires pour m’acquitter pleinement avec eux.