Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1865, tome 1.djvu/124

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LE SPECTRE.

Tu es prêt, je le vois. Sinon, tu serais plus inerte — que la ronce qui s’engraisse et pourrit à l’aise — sur la rive du Léthé. Soyons bref. — On a fait croire que, tandis que je dormais dans mon jardin, — un serpent m’avait piqué. Ainsi, toutes les oreilles du Danemark — ont été grossièrement abusées par un récit forgé de ma mort. — Mais sache-le, toi, noble jeune homme, celui qui a mordu — le cœur de ton père, porte aujourd’hui sa couronne.

HAMLET.

Oh ! mon âme prophétique ! mon oncle ! mon oncle !

LE SPECTRE.

Oui, lui. Ce misérable incestueux a, par des dons, entraîné à ses désirs — (oh ! maudits soient les désirs et les dons qui ont le pouvoir — de séduire ainsi !) entraîné ma reine, la plus vertueuse des femmes en apparence. — Mais, ainsi que la vertu reste toujours inébranlable, — même quand le vice la courtise sous une forme céleste, — de même la luxure, bien qu’accouplée à un ange rayonnant, — aura beau s’assouvir sur un lit divin, — elle n’aura pour proie que l’immondice. Mais doucement, il me semble — que je respire la brise du matin. Abrégeons. — Je dormais dans mon jardin, selon mon habitude constante — dans l’après-midi. À cette heure de pleine sécurité, — ton oncle vint près de moi avec une fiole pleine — du jas de la jusquiame, et m’en versa dans le creux de l’oreille — la liqueur pestilentielle. L’effet en — est funeste pour le sang de l’homme : — rapide comme le vif argent, elle s’élance à travers — les portes et les allées naturelles du corps, — et fait tourner le sang le plus limpide et le plus pur, — comme une goutte d’acide fait du lait. — Ainsi, elle couvrit partout de lèpre la surface lisse de mon corps. — Voilà com-