Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1865, tome 1.djvu/234

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souvir sur un lit divin, — elle n’aura pour proie que l’immondice. — Mais, doucement ! il me semble que je respire la brise du matin — Abrégeons. Je dormais dans mon jardin, — selon ma constante habitude, dans l’après-midi. — À cette heure de pleine sécurité, ton oncle se glissa près de moi — avec une fiole pleine du jus maudit de la jusquiame, — et me versa dans le creux de l’oreille — la liqueur pestilentielle. L’effet — en est funeste pour le sang de l’homme ; — rapide comme le vif-argent, elle s’élance à travers — les issues et les allées naturelles du corps ; — et, par une action soudaine, fait figer — et cailler, comme une goutte d’acide fait du lait, — le sang le plus limpide et le plus pur. C’est ce que j’éprouvai ; — et tout à coup je sentis, pareil à Lazare, — la lèpre couvrir partout d’une croûte infecte et hideuse — la surface lisse de mon corps. — Voilà comment dans mon sommeil la main d’un frère — me ravit à la fois existence, couronne et reine. — Arraché dans la floraison même de mes péchés, — sans sacrements, sans préparation, sans viatique, — sans m’être mis en règle, j’ai été envoyé devant mon juge, — ayant toutes mes fautes sur ma tête. — Ô ! horrible ! horrible ! oh ! bien horrible (7) ! — Si tu n’es pas dénaturé, ne supporte pas cela ; que le lit royal de Danemark ne soit pas — la couche de la luxure et de l’inceste damné ! — Mais, quelle que soit la manière dont tu poursuives cette action, — que ton esprit reste pur, que ton âme s’abstienne — de tout projet hostile à ta mère ; abandonne-la au ciel — et à ces épines qui s’attachent à son sein — pour la piquer et la déchirer. Adieu, une fois pour toutes ! — Le ver luisant annonce que le matin est proche, — et commence à pâlir ses feux impuissants. Adieu, adieu, Hamlet ! Souviens-toi de moi.
Le spectre sort.