Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1865, tome 1.djvu/264

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nous un échantillon de votre talent ; allons ! une tirade passionnée !

PREMIER COMÉDIEN.

Quelle tirade, monseigneur ?

HAMLET.

Je t’ai entendu déclamer une tirade qui n’a jamais été dite sur la scène, ou, dans tous les cas, ne l’a été qu’une fois ; car la pièce, je m’en souviens, ne plaisait pas à la foule ; c’était du caviar (11) pour le populaire ; mais, selon mon opinion et celle de personnes dont le jugement, en pareilles matières, a eu plus de retentissement que le mien, c’était une excellente pièce, bien conduite dans toutes les scènes, écrite avec autant de réserve que de talent. On disait, je m’en souviens, qu’il n’y avait pas assez de sel dans les vers pour rendre le sujet savoureux, et qu’il n’y avait rien dans le style qui pût faire accuser l’auteur d’affectation ; mais on trouvait la pièce d’un goût honnête, aussi saine que suave, et beaucoup plutôt belle par la simplicité que par la recherche. Il y avait surtout un passage que j’aimais : c’était le récit d’Énée à Didon, et spécialement l’endroit où il parle du meurtre de Priam. Si ce morceau vit dans votre mémoire, commencez à ce vers… voyons… voyons…

Pyrrhus hérissé comme la bête d’Hyrcanie,

Ce n’est pas cela : ça commence par Pyrrhus…

Le hérissé Pyrrhus avait une armure de sable,
Qui, noire comme ses desseins, ressemblait à la nuit,
Quand il était couché dans le cheval sinistre.
Mais son physique affreux et noir est barbouillé
D’un blason plus effrayant ; des pieds à la tête,
Il est maintenant tout gueules ; il est horriblement coloré
Du sang des mères, des pères, des filles, des fils,
Cuit et empâté sur lui par les maisons en flammes
Qui prêtent une lumière tyrannique et damnée