Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1865, tome 2.djvu/198

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MIRANDA.

Oh ! mon cœur saigne, — quand je songe à ces douleurs, disparues de mon souvenir, — vers lesquelles je vous ai tourné ! De grâce, continuez.

PROSPERO.

— Mon frère… ton oncle… il s’appelait Antonio… — Suis-moi bien, je te prie… Oh ! qu’un frère ait — été si perfide ! Lui qu’après toi-même — j’aimais le plus au monde ! Lui à qui j’avais confié — le soin de mes États !… À cette époque, — de toutes les seigneuries la mienne était la plus haute, — et Prospero était le premier des ducs. Ainsi réputé le premier — en noblesse, je passais, dans les arts libéraux, — pour être sans égal. Ceux-ci étant toute mon occupation, — je rejetai le gouvernement sur mon frère, — et devins étranger à mes États, transporté, — enfoui que j’étais dans des études secrètes. Ton oncle, le traître !… — Me suis-tu ?

MIRANDA.

Monsieur, avec toute mon attention.

PROSPERO.

— Ton oncle, une fois maître dans l’art d’accorder les faveurs — et de les refuser, sachant bien qui pousser et qui — élaguer, recréa toutes — les créatures qui étaient miennes : je veux dire qu’il les changea — ou les transforma. Ayant à la fois la clef — de l’employé et de l’emploi, il mit tous les cœurs — au ton qui plaisait à son oreille, si bien qu’il était désormais — le lierre qui cachait mon tronc princier — et qui suçait ma séve. Tu ne suis plus.

MIRANDA.

— Oh ! si, mon bon seigneur.

PROSPERO.

— Je t’en prie, écoute-moi. Négligeant ainsi les fins mondaines pour me vouer — à la retraite et perfectionner