Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1865, tome 2.djvu/342

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BACON.

Frère, les voilà gisants dans leur sang. — Bacon, c’est la magie qui a causé ce massacre ! C’est ton art qui a fait périr ces vaillants Bretons, ces jeunes amis. Renonce donc sur-le-champ à ta magie et à ton art. Le poignard qui a terminé leur vie doit briser l’instrument de leur malheur. Que ce miroir soit à jamais terni, et qu’avec lui disparaissent les reflets que la nécromancie jetait sur son cristal !

Il brise le miroir.
BUNGAY.

Pourquoi le savant Bacon a-t-il brisé cette glace à longue vue ?

BACON.

Je le déclare, Bungay, Bacon se repent cruellement de s’être jamais mêlé de cet art. Les heures que j’ai consacrées à la pyromancie, les papiers pleins de sortiléges que j’ai froissés pendant l’horreur d’une nuit tardive, les évocations de diables et de démons que j’ai faites, revêtu de l’étole et de l’aube, à l’aide de l’étrange pentagramme, les prières sacriléges où j’ai mêlé le saint nom de Dieu, Sother, Eloïm, Adonaï, Alpha, Manoth, Tetragrammaton, à l’invocation des cinq puissances du ciel, voilà les preuves que Bacon doit être damné pour avoir employé des démons à contrecarrer Dieu ! — Pourtant, courage, Bacon, ne te noie pas dans le désespoir. Les péchés ont leur baume. Le repentir peut beaucoup. Songe que la pitié est assise sur le même siége que la justice. Les blessures, qui ont percé le flanc de Jésus, et que ta magie a fait souvent saigner encore, répandent sur toi une rosée de miséricorde qui éteindra la colère du puissant Jéhovah et te rendra l’innocente pureté du nouveau-né ! — Bungay, je passerai le reste de ma vie dans la plus parfaite dévotion, à prier Dieu de sauver cette vie que Bacon a perdue dans la vanité.

Il sort.
(Extrait de Frère Baron et Frère Bungay, par Robert Greene, 1594.)


fin des notes.