Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1865, tome 2.djvu/357

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L’enfer que les bigots construisent n’est pas nécessaire pour punir les coupables ; la terre elle-même contient et le mal et le remède ; et la nature, suffisant à tout, y peut châtier ceux qui transgressent sa loi ; c’est assez qu’elle sache proportionner à la faute la peine qu’elle mérite.

» N’est-il pas étrange que ce pauvre misérable soit fier de son malheur, qu’il prenne plaisir à son abjection et embrasse le scorpion qui le dévore ? N’est-il pas étrange que, — placé sur un trône d’épines éclatant, brandissant un sceptre de fer, et muré dans une splendide prison dont les parois rigides l’enferment loin de tout ce qui est bon et précieux sur terre, — l’âme de ce malheureux ne revendique pas son humanité, et qu’en lui la douce nature de l’homme ne se révolte pas contre les fonctions du roi ? Non ! cela n’a rien d’étrange. À l’exemple du vulgaire, il pense, sent, agit et vit juste comme a fait son père. Les forces invincibles du précédent et de l’usage s’interposent entre un roi et la vertu.

» À ceux qui ne connaissent pas la nature et qui ne peuvent pas déduire le futur du présent, une chose peut sembler plus étrange encore : c’est que pas un des esclaves qui souffrent des crimes de cet être contre nature, c’est que pas un des misérables dont les enfants ont faim, et qui ont pour lit nuptial le sein sans pitié de la terre, ne lève le bras pour renverser cet homme de son trône ! Ces moucherons aux ailes d’or qui, pullulant au soleil de la cour, s’engraissent de ses corruptions, que sont-ils ? Ils sont les frelons de la société ; ils se nourrissent du labeur de l’artisan. Pour eux, le rustre famélique force la glèbe rebelle à livrer ses récoltes qu’ils accaparent ; et là-bas cette forme squalide, plus maigre que la misère décharnée, qui use une vie sans soleil dans la mine malsaine, subit par le travail une mort lente, rien que pour satisfaire leur faste ! La masse s’épuise de fatigue pour