Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1865, tome 2.djvu/36

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et, quand les instruments s’arrêtèrent, il n’avait plus faim.

C’est qu’en effet, dans ce milieu nouveau, Thomas n’avait plus les besoins de la matière. Il n’était plus l’homme grossier et vil d’autrefois. Nos aloyaux les plus appétissants lui eussent répugné. Alors la vibration d’une harpe suffisait à le nourrir, le parfum d’une fleur l’eût grisé.

Qui pourrait peindre la vie du poète, ainsi transporté en pleine féerie ? Il avait oublié cette terre, il avait oublié son Écosse, ses hautes montagnes, son donjon d’Enceldoune ; il avait oublié ses parents, ses amis, qui le croyaient mort, et qui disaient en pleurant : Pauvre Thomas ! Il ne se souvenait plus de son existence en ce monde que comme l’homme qui se réveille se rappelle le cauchemar passé. C’était mieux qu’un réveil, c’était une résurrection. Nouveau-né dans un monde supérieur, Thomas avait l’amour pour nourrice et la musique pour berceau.

Cette vie enchantée, la ballade se reconnaît impuissante à la décrire, et moi, traducteur prosaïque, je vous la laisse rêver.

Tout cela cependant était trop beau pour durer.

Le ménestrel résidait depuis quelque temps au palais des fées, quand la reine vint le trouver secrètement.

— Thomas, lui dit-elle, tu me vois désolée. Je viens te dire adieu. Il faut que tu me quittes au plus vite pour t’en retourner chez les hommes.

— Comment ! s’écria le poëte avec stupeur, si tôt !

— Si tôt ! répliqua la reine ; depuis combien de temps crois-tu donc avoir quitté la terre ?

— Depuis sept jours à peine, murmura Thomas, pour qui cette existence avait passé comme un rêve.

— D’après notre calendrier, il n’y a que sept jours. D’après le tien, il y a sept ans.