Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1865, tome 2.djvu/51

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

chiffres pris au hasard font frémir. En 1485, l’inquisiteur Cumanus fait brûler quarante et une femmes dans le seul comté de Burlia. Vers la même époque, un autre inquisiteur en brûle tant dans le Piémont qu’au rapport d’Alciatus, la populace fanatique le chasse. En 1524, d’après le témoignage de Spina, mille sorcières sont brûlées vives en une seule année ! Les choses se passent partout comme en Italie. En 1515, Genève voit réduire en cendres cinq cents personnes ! En Lorraine, frère Remigius se vante d’avoir brûlé neuf cents personnes en quinze mois ! À quoi bon compter ? Regardez par le soupirail de l’histoire le ciel de l’Europe chrétienne, et vous le verrez partout rouge des reflets de la braise humaine. Pendant tout le moyen âge, les bourreaux, ces sinistres vestales, entretiennent le feu sacré des bûchers.

Ces flammes pieuses n’étaient pas encore éteintes à la fin du seizième siècle, et Shakespeare a pu de ses yeux les voir dévorer leurs dernières victimes. Racontons cette horrible tragédie qui a dû faire sur l’âme généreuse du jeune poëte une ineffaçable impression.

C’était en 1585. Le roi d’Écosse, qui devait bientôt être roi de la Grande-Bretagne, Jacques VI, ayant atteint sa dix-neuvième année, songeait sérieusement à se marier. Jacques n’avait que l’embarras du choix. Sa mère, la reine Marie, alors enfermée dans une prison d’Angleterre, voulait qu’il prît une princesse catholique, et lui conseillait une fille de Philippe II. Sa marraine, la geôlière de sa mère, la reine Élisabeth, voulait qu’il se décidât pour une protestante, et lui indiquait madame de Navarre, sœur de Henri IV. Enfin, son ministère voulait qu’il épousât les intérêts de l’Écosse, et plaidait pour une fille du roi de Danemark, qui devait apporter en dot à la couronne les îles Orcades et les îles Shetland.

Le roi Jacques, qui ne voulait déplaire ni à sa mar-